De l'Épopée de Gilgamesh à Saint-Jean, du bug de l'an 2000 aux cataclysmes promis par les Mayas, la peur de l'apocalypse est aussi ancienne que l'humanité. Le changement climatique et le chaos qu'il promet, l'instabilité géopolitique, les évangiles catatrosphistes mais argumentés des collapsologues lui offrent aujourd'hui une très profitable nouvelle vie.
Les exemples abondent. Certains millionnaires ou milliardaires de la Silicon Valley, tel Peter Thiel, investissent discrètement dans les terres de la lointaine Nouvelle-Zélande. L'île du bout du monde, en cas d'effondrement ou de cataclysme, pourrait constituer pour eux un havre de paix protégé des remous.
Enterrer sa richesse
D'autres ne vont pas chercher aussi loin. Durant la Guerre froide, les États-Unis ont dépensé des milliards de dollars dans la construction d'abris antiatomiques, de bunkers, de silos pour missiles. Autant de lieux désormais transformés en refuges luxueux pour ultra-riches rendus anxieux par des agents immobiliers faisant de la peur leur premier argument marketing.
«La peur est encore plus vendeuse que le sexe», a expliqué au New York Times l'anthropologue John W. Hoopes, qui a étudié cette question du business de la fin du monde lors des frayeurs prophétiques de 2012. «Si vous pouvez effrayer les gens, alors vous pouvez leur vendre toutes sortes de choses. Y compris des bunkers.»
Le NYT donne de nombreux exemples de ce juteux business. Celui de Larry Hall, qui a tranformé un trou pour missiles désaffecté du Kansas en un immeuble de quinze étages. Douze appartements au total, pour un prix de départ de 1,3 million de dollars (1,2 million d'euros): tous ont été instantanément vendus.
Le quotidien mentionne également un bunker de Las Vegas, construit par le ponte des cosmétiques Avon et en vente pour 18 millions de dollars; ou encore des centaines de mètres de tunnels souterrains, dans le Colorado, proposés pour 4,2 millions de dollars et prêts à être reconvertis en une imprenable forteresse.
S'entraîner au pire
D'autres, les preppers, ne dépensent pas ces sommes folles dans d'indestructibles refuges, mais achètent de vastes étendues de terre et apprennent, en communauté ou en solitaire, à survivre loin d'une civilisation promise au chaos. Les rassemblements survivalistes ou camps d'entraînement à la survie ont le vent en poupe –et la tendance ne concerne pas que les États-Unis.
Dans un article fouillé sur ces super-riches extra-anxieux, le New Yorker cite l'exemple de Steve Huffman, fondateur de Reddit, qui a eu recours à la chirurgie laser pour corriger ses défauts de vision. Non par commodité ou coquetterie, mais pour se préparer à l'apocalypse. «Si la fin du monde arrive, trouver des lunettes ou des lentilles de contact sera un vrai calvaire. Sans elles, je suis foutu», assure-t-il.
Comme le note le magazine, Hoffman n'est que l'un de ces nombreux cadres issus de la Silicon Valley qui se préparent activement à l'effondrement du système.
Une partie des individus qui dessinent l'avenir du monde depuis des décennies semble croire qu'il est d'ores et déjà foutu: peut-être devrions-nous leur suggérer de mettre plutôt leurs fortunes et cerveaux au service de son sauvetage.