La stupeur fut grande lorsque, dès les premières heures de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, fut annoncée la prise de la centrale de Tchernobyl par les troupes de Moscou.
Plus grande encore est-elle à la lecture d'un article du Wall Street Journal détaillant les conditions effroyables dans lesquelles y vivent et travaillent les 200 ingénieurs et travailleurs ukrainiens qui y sont détenus.
Pris en otage sous la menace des armes russes, ces hommes et femmes œuvrent sans relève, sans relâche ni liberté, jour et nuit, pour assurer la sécurité d'un site qui, des mots mêmes de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), ne reçoit plus certaines réparations pourtant importantes.
Arrivés pour un quart d'une nuit le 23 février, le personnel chargé de la surveillance et de la maintenance du sarcophage sécurisant les installations n'a depuis pas quitté les lieux. Il y vit (mal), y dort (mal), y mange (mal) et surtout y travaille, non stop, sous la menace des fusils russes.
«Leur régime consiste en du porridge et de la nourriture en boîte, préparée par un cuisinier de 70 ans qui s'est déjà effondré sous le coup de la fatigue, écrivent Joe Parkinson et Drew Hinshaw du WSJ. Leurs téléphones ont été confisqués et ils sont suivis par des soldats russes partout où ils vont dans ce labyrinthe de couloirs bétonnés.»
Les deux journalistes ont pu directement parler à certains de ces otages, ainsi qu'à leurs familles ou proches. Eux sont sous bonne garde à Slavoutytch, à quelques kilomètres de la centrale, ville construite par les Soviétiques pour abriter les travailleurs chargés de veiller sur l'usine éventrée.
Ils ont eu accès aux enregistrements de quelques-uns des coups de fils quotidiens et extérieurs permis par les militaires russes à leurs otages. Ce qu'ils dépeignent est effrayant.
Des personnes épuisées, des malades nécessitant des soins ou des médicaments, des êtres proches de la rupture et de la mutinerie –un matin, l'hymne ukrainien a semble-t-il été joué à plein volume sur les haut-parleurs de la centrale, en signe de défiance. L'Ukraine a demandé à ce qu'un couloir soit aménagé pour permettre la relève de ces travailleurs exsangues, ce que la Russie n'a jusqu'ici pas accepté.
Terrorisme atomique
Selon l'AIEA et la plupart des experts occidentaux, le risque principal est une déconnexion électrique des piscines de refroidissement dans lesquelles sont plongées les barres d'uranium de feu la centrale.
Une catastrophe d'ampleur continentale semble improbable mais un désastre local n'est pas à écarter: si lesdites barres n'ont, du fait de leur âge, plus le pouvoir de nuisance qu'elles ont pu avoir, l'arrêt de leur refroidissement pourrait être responsable d'une hausse des radiations plus que périlleuse pour les personnels sur place.
Une autre hypothèse a été envisagée –et dûment communiquée– par les services de renseignement ukrainiens ces derniers jours: celle d'une opération de type «false flag» menée par les troupes russes, qui pourraient se rendre coupables d'une «attaque terroriste» contre la centrale ou ce qu'il en reste et rejeter la faute sur de prétendus saboteurs ukrainiens.
Un tel scénario relève sans doute de la propagande, du chiffon rouge. Pourtant, il y a quelques jours, la très sérieuse analyse faite par NPR de la prise armée et brutale de la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus puissante en Europe, montrait que les forces russes semblaient plutôt insensibles au danger atomique, sinon complètement cyniques.
Des vidéos de l'attaque montraient ainsi que de nombreux tirs russes avaient été effectués en direction des gigantesques réacteurs de la centrale, certains obus tombant à quelques mètres seulement d'installations nucléaires.
Pour l'instant, entre la prise en otage du personnel de Tchernobyl et l'attaque irresponsable sur Zaporijia, et sans même compter le risque que Vladimir Poutine et ses généraux décident d'une utilisation de l'arsenal militaire tactique à leur disposition, la possibilité d'un «terrorisme nucléaire» semble plutôt du côté russe.