Parmi les bizarreries que nous a réservé 2020, on se souvient du prix négatif du pétrole. En avril dernier, le ralentissement de l'activité économique a engendré un phénomène inédit; il n'y avait plus de place pour stocker le pétrole extrait du sol, qui manquait de débouchés.
C'est ainsi que le prix du baril West Texas Intermediate (WTI) est devenu brièvement négatif le 20 avril, clôturant à -31 euros: la situation était tellement critique que ceux qui détenaient des barils de bruts étaient prêts à payer des personnes pour qu'elles les débarrassent de cette marchandise.
Un scénario jamais vu depuis 138 ans, qui n'a duré que 24 heures. Mais aussi une aubaine pour certains. Il faut dire que de très nombreux produits financiers dérivés sont liés au prix du baril WTI, et plus exactement à son prix à la clôture, qui a lieu à 14h30.
Les neuf salopards
En enquêtant sur les événements qui avaient conduit à un WTI à -31 euros, les autorités américaines ont découvert le rôle joué par une firme britannique: un petit fonds d'investissement nommé Vega Capital London Limited.
Neuf de ses traders indépendants -en télétravail au moment des faits- ont réalisé une plus-value de 540 millions d'euros. Les enquêteurs cherchent désormais à savoir s'ils ont violé la loi, ou s'ils ont simplement effectué un coup de génie parfaitement légal.
Paul Commins a commencé sa carrière à l'International Petroleum Exchange (aujourd'hui ICE Futures), principal marché londonien de contrats à terme et d'options énergétiques. Avant internet, les traders pouvaient y amasser des sommes folles.
La bourse physique a fermé en 2005, et Commins a alors assemblé un collectif de financiers indépendants qui a notamment travaillé pour le Tower Trading Group, avant de fonder sa propre société en 2016, Vega Capital.
Diabolique mais... légal?
Voici comment ils ont procédé en avril: le WTI est à 10 dollars et le trader prévoit qu'il tombe à 5 dollars. Il achète 50.000 barils sur le marché de la «vente au règlement» (TAS), ce qui signifie qu'il s'engage à acheter du pétrole au prix qu'il affichera à 14h30, à la clôture.
Le trader vend ensuite des contrats à terme indexés sur le WTI, afin de faire baisser le prix de ce dernier. «[Il vend] 10.000 barils pour 10 dollars, 10.000 de plus à 9 dollars, et de nouveau 10.000 à 8 dollars. À l'approche de la clôture, le trader accélère sa vente, vendant 10.000 contrats supplémentaires à 7 dollars puis un autre morceau à 6 dollars, ce qui aide à faire baisser le prix jusqu'à ce que, bien sûr, il s'établisse à 5 dollars», détaille Bloomberg.
Le trader réalise un profit de 150.000 dollars: la différence entre ce qu'il a vendu (50.000 barils entre 6 et 10 dollars, soit 400.000 dollars) et ce qu'il a acheté (50.000 barils à 5 dollars, soit 250.000 dollars). Le 20 avril, ceux de Vega ont continué jusqu'à faire descendre le prix du WTI en-dessous de zéro.
«Tout cela est parfaitement légal, à condition que le trader n'essaie pas délibérément de faire baisser le cours de clôture à un niveau artificiel pour maximiser ses profits, ce qui constitue une manipulation du marché en vertu du droit américain», explique Bloomberg. Aux enquêteurs de déterminer s'il s'agissait d'un crime ou d'un coup de génie.