Le trafic d'art constitue l'un des plus grands marchés noirs au monde. D'après l'Unesco, la vente de biens historiques mal acquis représente près de 10 milliards de dollars chaque année. Le pillage de sites archéologiques est particulièrement un fléau, et représente «une source de revenu majeure pour les organisations criminelles et terroristes».
Ces dernières années, un certain nombre de pays se sont penchés sérieusement sur ce trafic en créant des unités de police dédiées. Mais de l'aveu même de certains des policiers qui en font partie, les autorités s'appuient souvent sur des internautes jouant aux détectives amateurs.
«Il y a une explosion de l'intérêt, beaucoup de gens ont soudain réalisé que tous ces objets sont irremplaçables», explique à Bloomberg Matthew Bogdanos, qui dirige l'unité anti-trafic d'antiquités du procureur de Manhattan, haut lieu du trafic d'art.
En 2012, lors d'une opération baptisée «Hidden idol» («idole cachée»), des agents de la police douanière américaine (ICE) ont perquisitionné un entrepôt new-yorkais appartenant au marchand d'art Subhash Kapoor, après avoir été alertés par S. Vijay Kumar, un comptable indien.
Les agents y ont découvert des antiquités illégales, pour une valeur estimée à plus de 100 millions de dollars (soit une centaine de millions d'euros). Selon un rapport gouvernemental, l'État indien n'était en tout et pour tout parvenu qu'à récupérer une vingtaine d'objets volés entre 1977 et 2012. Grâce à cette opération, ce sont 157 objets acquis illégalement qui ont pu lui être rendus.
Archéologues du net
Quand les pièces volées ne sont pas vendues à un musée, elles échouent souvent dans des collections privées après avoir changé de mains plusieurs fois. Pour les débusquer, les détectives du web effectuent eux-mêmes un travail d'archéologues, pas sur le terrain mais directement sur internet, en épluchant les images de ventes aux enchères et en les comparant à des photographies d'archives. Ces passionnés bénévoles s'aident souvent les uns les autres afin de créer un véritable réseau international d'enquêteurs amateurs.
S. Vijay Kumar a réussi sa première identification d'une œuvre d'art volée en comparant la photo d'une statue mise en vente par Subhash Kapoor avec celles d'études françaises de temples indiens remontant aux années 1950.
L'automne dernier, Chris Marinello est tombé sur une statue de la déesse indienne Yogini dans une demeure londonienne. Seulement, ni Sotheby's, ni un historien britannique contacté pour l'occasion n'ont pu lui offrir leur aide. En quelques coups de fils, Marinello a pourtant finalement pu lui-même identifier la statue: elle avait été volée quarante ans plus tôt dans un temple de la province indienne d'Uttar Pradesh.