Le site néerlandais Oryx, spécialisé dans les questions de défense, fait un pas de côté pour nous raconter une jolie histoire de Noël: comment l'ex-président du Conseil italien Silvio Berlusconi a offert un train à grand vitesse tout confort à un certain Mouammar Kadhafi, bien que le train en question ne lui appartienne pas (pas plus qu'à l'Italie). Et pourquoi l'engin n'a jamais roulé plus que sur une misérable poignée de kilomètres.
À l'origine, le train en question faisait partie d'une commande de quatre-vingt-trois unités effectuée par la Danske Statsbaner (DSB), la société danoise des chemins de fer, à la compagnie italienne AnsaldoBreda –qui n'existe plus sous ce nom depuis 2015, date à laquelle elle fut rachetée par le groupe japonais Hitachi.
Le premier de ces trains aurait dû entrer en service en 2003, mais c'est finalement avec quatre années de retard que le lancement a eu lieu. Mais à cause d'énièmes problèmes techniques et de nouveaux retards de livraison, la mise en circulation de cette nouvelle gamme de trains a rapidement été mise sur pause. Un fiasco de taille: AnsaldoBreda a ainsi été contrainte de rembourser à la DSB la moitié des 710 millions d'euros investis.
Joyeux anniversaire
Pour tenter de compenser son lamentable échec, l'entreprise italienne a décidé de prélever –visiblement sans demander le moindre feu vert à qui que ce soit– l'un des trains de la ligne de production, et de le transformer en véhicule de luxe.
À la demande de Silvio Berlusconi, ce train VIP a été offert par Silvio Berlusconi à Mouammar Kadhafi en 2009, à l'occasion des célébrations du quarantième anniversaire de l'arrivée au pouvoir du dirigeant libyen.
Ce cadeau singulier et encombrant ne suffisant visiblement pas, Silvio Berlusconi y a même ajouté une promesse pas piquée des hannetons: celle d'investir 3,5 milliards d'euros dans des infrastructures libyennes, ce qu'il présenta comme une façon de réparer les préjudices liés à la colonisation de la Libye par l'Italie entre 1911 et 1943.
Ce n'est qu'en 2013 que le Danemark a réalisé que l'un de ses trains avait été prélevé pour être offert à Mouammar Kadhafi. Depuis, le convoi prend la poussière sur une voie ferrée abandonnée, dans la banlieue de Tripoli, la capitale libyenne.
La collaboration entre AnsaldoBreda et la DSB a, de son côté, décidément tourné court: dès 2020, la société danoise de chemins de fer a décidé de vendre onze des trains nés de ce contrat, premier pas d'un démantèlement intégral dont la fin est prévue pour 2024.
Un train mais pas de rails
Il faut ajouter à cette belle histoire un détail croustillant: il s'avère qu'en Libye, il n'y a pas un seul chemin de fer qui soit opérationnel, précise Oryx. Pour que le train offert par l'Italie de Silvio Berlusconi puisse tout de même effectuer quelques déplacements, aussi minimes soient-ils, trois kilomètres de rails avaient toutefois été installés. Objectif: avoir de quoi patienter jusqu'à l'installation complète et définitive d'une ligne reliant Tripoli à la Tunisie.
Sauf que la ligne en question n'a jamais été terminée, la révolution de 2011 étant passée par là. Dommage pour AnsaldoBreda, société décidément maudite –sans doute par sa faute–, puisque Mouammar Kadhafi avait prévu de lui commander d'autres trains une fois le dernier pan de rail posé.
C'est cependant une bonne nouvelle pour la Libye: les trains produits par la société italienne se sont toujours distingués par leur piètre qualité –les Pays-Bas, qui lui avaient commandé des trains à grande vitesse, l'ont amèrement regretté.