Pas la peine de chercher, vous ne trouverez aucun VTC dans les rues de la ville canadienne. | Brendon Thompson via Unsplash 
Pas la peine de chercher, vous ne trouverez aucun VTC dans les rues de la ville canadienne. | Brendon Thompson via Unsplash 

Vancouver, la ville qui résiste à Uber

La population urbaine n'imagine plus le quotidien sans VTC. Vancouver a pourtant décidé de s'en passer pour l'instant –et la métropole canadienne se débrouille plutôt bien.

Si vous vivez dans une agglomération d’Amérique du Nord, vous pouvez vous faire transporter n’importe où à l’aide de votre smartphone. À San Francisco, les VTC connectés existent depuis le lancement d’Uber (2010). Le secteur s’est développé à une vitesse folle au fil des cinq années suivantes, la société –et ses concurrents– allant jusqu’à s’établir dans des bourgades aussi petites qu’Easton, en Pennsylvanie.

Certaines villes, notamment Austin au Texas, ont certes temporairement bouté Uber et Lyft hors de leurs murs en leur reprochant leurs pratiques commerciales, mais en général, il est possible de commander une course aux quatre coins des États-Unis ou du Canada.

Enfin, sauf si vous vous trouvez à Vancouver, en Colombie-Britannique.

Expérience grandeur nature

Contrairement à l’ensemble des grandes zones métropolitaines d’Amérique du Nord, la région de Vancouver interdit purement et simplement les VTC. L'exemple est unique: aucune autre cité nord-américaine en plein essor n'a refusé –poliment, comme de juste au Canada– de prendre le train VTC en marche.

Résultat: les transports publics, qui sont en perte de vitesse dans de nombreuses villes, gagnent des usagères et usagers à Vancouver. De plus en plus de monde va au travail en vélo, et les services d’autopartage de type Car2Go connaissent une progression fulgurante.

Avec une population régionale de 2,5 millions de personnes –en pleine expansion– et une réputation d’aimant à millennials, la zone métropolitaine de Vancouver semble particulièrement bien adaptée aux services de courses avec chauffeur.

Après tout, Seattle, qui n’est qu’à trois heures de route au sud, a comptabilisé quelque vingt millions de courses VTC en 2017. Mais les lois de Colombie-Britannique considèrent les VTC comme des services de limousine, qui doivent facturer un minimum de 75 dollars canadiens [50 euros] par course.

Par ailleurs, la réglementation locale des assurances ne couvre pas encore certains cas de figure rencontrés en course VTC –par exemple les accidents de la circulation survenant en allant chercher un client ou une cliente. Pour l’heure, les services de type Uber et Lyft sont totalement absents de la province.

Ce statu quo ne risque pas de durer bien longtemps: de plus en plus de personnes réclament la présence des VTC dans leur région, et elles auront sans doute gain de cause cette année. En attendant, Vancouver constitue une sorte d’expérience grandeur nature: la métropole canadienne nous montre comment fonctionnent les transports dans une ville sans chauffeurs privés.

Réseau enviable

Comment la population de Vancouver a-t-elle géré l’absence de VTC? Sans aucun problème, de toute évidence.

Le pourcentage d'habitantes et habitants de la ville qui se rendent au travail à pied, en vélo ou via les transports en commun a augmenté entre 2013 et 2017 –59%, contre 57% en 2017.

Dans l’intervalle, la part des trajets quotidiens en vélo a fait un bond de géant (+50% environ), la ville ayant fortement investi dans le secteur, en construisant notamment un réseau de pistes cyclables protégées en centre-ville.

TransLink, la société de transport de la région, a enregistré une hausse de la fréquentation de 5,7% en 2017le plus fort taux de croissance d’Amérique du Nord. Andrew McCurran, directeur de la planification et de la politique stratégique chez TransLink, explique que l’entreprise a enregistré une hausse de fréquentation encore plus rapide en 2018 (+6,7%). Fait remarquable, la forte fréquentation des bus TransLink (+7,3% en 2018) fut l’un des principaux moteurs de cette hausse.

Le réseau TransLink (bus, trains, ferries) est impressionnant: 90% des Vancouvérois et Vancouvéroises vivent à moins de dix minutes, à pied ou en vélo, d’une station à forte fréquentation. Seule New-York fait mieux en Amérique du Nord.

Il est simple comme bonjour de payer ses trajets, et la population peut avoir accès à la totalité du réseau à l’aide d’un simple smartphone équipé de la technologie NFC, d’une carte bleue avec paiement sans contact ou de la TransLink Compass Card, qui peut prendre la forme d’un bracelet ou d’une carte.

La forte croissance de TransLink forme un contraste saisissant avec ses homologues des États-Unis, où trente-et-une sociétés de transport sur trente-cinq ont enregistré une baisse de fréquentation en 2017 et où la fréquentation des bus a chuté de 5%.

Intenable statu quo

À Vancouver, le succès des transports en commun est peut-être en parti dû à l’absence des VTC. En 2017, une étude très remarquée de l'Université de Californie à Davis a constaté que dans sept grandes villes, la moitié des courses de VTC prenaient la place des transports en commun, de la marche et du vélo, ou n’auraient tout simplement pas eu lieu sans VTC.

L’autopartage est lui aussi très populaire à Vancouver, avec 3.000 véhicules partagés –ce qui en fait la première agglomération d’Amérique du Nord en nombre de voitures partagées par habitant. Car2Go compte 192.000 membres dans la région, plus que dans n’importe quelle autre ville du continent. Là encore, l’absence de VTC pourrait contribuer au phénomène.

On comprend bien dans quelle mesure les services d’autopartage «libres», qui offrent la possibilité de sélectionner un véhicule et de le rendre sur tout espace de stationnement légal, peuvent servir d’alternative au VTC pour les personnes qui ne veulent pas faire de voyages aller-retour.

Un bus maritime de TransLink: peu de chance de voir un jour un Uber s'aventurer sur l'eau. | Via TransLink

Face au succès des transports en commun, de l’autopartage et du vélo en l’absence de VTC, on comprendrait que les habitantes et habitants de Vancouver souhaitent maintenir le statu quo. Et de fait, des études menées dans d’autres villes montrent que les VTC pourraient bien faire de la concurrence aux transports en commun, exacerber les bouchons en centre-ville et inciter les automobilistes à emprunter des voies de bus et de vélo –ce qui est particulièrement dangereux.

Rien de tout cela ne semble faire peur à Vancouver. Selon Andrew McCurran de TransLink, la majorité de la population appelle de ses vœux l’arrivée d’Uber, Lyft et consorts. La «FOMO» [pour «fear of missing out», la peur de passer à côté] pèse sans doute dans cette volonté: McCurran souligne que de nombreuses personnes habitant la région ont eu recours aux VTC dans d’autres villes et ne comprennent pas pourquoi elles ne peuvent faire de même à domicile.

Certains membres de l’industrie du tourisme militent sans relâche pour ces services: l’un d’entre eux a affirmé que l’absence des VTC était «incompréhensible» et a dit regretter de voir des «touristes frustrés de ne pouvoir se déplacer comme bon leur semble».

Les entreprises de VTC participent désormais au débat: en janvier dernier, Lyft a consacré un billet de blog à la question, en expliquant comment ses services pourraient améliorer la mobilité nocturne des Vancouvérois et Vancouvéroises.

Il faut admettre que les taxis locaux essuient de nombreuses critiques. Un utilisateur de Reddit explique ainsi qu’«essayer de commander un taxi à Vancouver les jours de match/concert/etc., c’est quasi impossible». L’industrie locale du taxi fait bloc contre l’arrivée des VTC, comme dans de nombreuses villes de par le monde.

Conversion prochaine

Reste que Vancouver ne demeurera pas une anomalie bien longtemps. En 2017, les citoyennes et citoyens de Colombie-Britannique ont élu un nouveau gouvernement dirigé par le Nouveau parti démocratique, qui a promis de légaliser les VTC. TransLink se prépare à leur arrivée, qui devrait survenir dans le courant de cette année 2019.

Soulignons néanmoins que les détails sont flous: on ne sait ni quand, ni comment ces services vont entrer en scène. Les responsables politiques ont récemment étudié la possibilité d’un plafonnement du nombre de véhicules –une mesure adoptée par New York l’an dernier. Mais cette solution pourrait concentrer les VTC dans les zones densément peuplées, déjà bien desservies par TransLink (comme le centre-ville de Vancouver), par opposition aux banlieues résidentielles (comme Maple Ridge), dont l'accès aux transports en commun est restreint.

McCurran affirme que TransLink fait preuve d’un «optimisme prudent», et pense que les VTC vont améliorer le réseau de mobilité de la région. «Si les VTC sont bien pris en main, avec des mesures de gestion des embouteillages adaptées, ils pourront intégrer une gamme de services qui rendront les voyages sans véhicule personnel plus compétitifs», analyse-t-il.

Quelle forme pourrait prendre cette «gestion des embouteillages»? McCurran n’a pas voulu préciser sa pensée, mais la tarification routière pourrait être une option. Le mois dernier, la ville de Vancouver a proposé la mise en place d’une «redevance mobilité», une taxe sur les futures courses de VTC en période de forte affluence, conçue pour fluidifier le trafic.

En attendant, TransLink expérimente pour se préparer à l'arrivée de ses concurrents: la société de transport à converti quelques places de stationnement en futurs points d’embarquement et de débarquement pour VTC. Objectif: réduire les embouteillages et renforcer la sécurité piétonne –une approche testée dans plusieurs villes, dont Washington D.C..

L’arrivée des VTC approche, et l’enjeu est de taille pour Vancouver. Le dernier bastion d’Amérique du Nord sans chauffeurs privés a construit un réseau de mobilité solide, que la plupart des villes lui envient. Les VTC viendront peut-être enrichir ce réseau, en fournissant des services de nuit et des options de transport fiables aux personnes habitant dans des banlieues lointaines, tout en instaurant une saine concurrence avec les taxis locaux.

Mais cette technologie pourrait également incarner une «disruption» peu souhaitable à Vancouver, en aggravant les embouteillages et en détournant la clientèle des modes de transports écologiques et efficaces que constituent les transports en commun ou le vélo.

Où va Vancouver? Nous le saurons bientôt.

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