Un char détruit près du village ukrainien de Yampil, le 1er novembre 2022. | Dimitar Dilkoff / AFP
Un char détruit près du village ukrainien de Yampil, le 1er novembre 2022. | Dimitar Dilkoff / AFP

Comment tire-laits, réfrigérateurs ou lave-linge européens arment la Russie

Les importations de tire-laits par le Kazakhstan ont bondi de 633% cette année. Hasard?

La guerre menée par la Russie en Ukraine est l'occasion, comme le fut d'une toute autre manière la pandémie de Covid-19, de comprendre à nouveau la complexité et l'importance des chaînes d'approvisionnement et les circuits commerciaux mondiaux.

Dès le début de l'invasion, États-Unis et Union européenne ont imposé de nouvelles sanctions à Moscou, notamment sur les importations de matériels électroniques de pointe, pour essayer d'étouffer son complexe militaro-industriel, très dépendant des technologies occidentales.

Et très tôt, ces sanctions ont semblé fonctionner. En mai, l'Ukraine puis la la secrétaire d'État américaine au Commerce Gina Raimondo, rapportaient ainsi la découverte, dans les dizaines de chars russes détruits depuis février, de composants basiques pour lave-vaisselle ou réfrigérateurs –même chose d'ailleurs pour certains drones utilisés par Moscou.

Toute l'industrie russe est touchée, parfois mise à l'arrêt –le pays est d'ailleurs officiellement entré en récession. Sevré de pièces détachées, le secteur aéronautique fait avec ce qu'il a: les Airbus et Boeing occidentaux «chipés» au début de la guerre aux grandes firmes de leasing, cannibalisés les uns après les autres pour servir aux aéronefs encore en vol.

Le phénomène est identique dans le secteur automobile, mis à l'arrêt par les mesures décidées par Bruxelles et Washington: quand ses usines peuvent tourner, Lada ressort de vieux modèles sans option ni électronique et le banditisme automobile fait son grand retour dans le pays.

Bref, la Russie résiste mais souffre, en particulier pour produire des armes dont elle commence à manquer. Il se dit par exemple qu'elle a utilisé une très grosse partie de son stock de missiles, ce qui expliquerait pourquoi elle aurait récemment envoyé sur Kiev un ou plusieurs projectiles atomiques dénucléarisés.

Alors, elle fait comme elle peut, et cela provoque de drôles de phénomènes. Ainsi, Bloomberg rapportait fin octobre que les importations par le Kazakhstan de tire-laits depuis l'Europe avaient bondi de 633% pendant la première moitié de l'année par rapport à la même période de 2021, et ce malgré une chute de 8,4% du taux de natalité.

Le même pays a également exporté vers la Russie pour 7,5 millions de dollars (7,3 millions d'euros) de lave-linge depuis le début de l'année, contre zéro l'année précédente. Quant à l'Arménie, elle a elle aussi triplé ses importations de tire-laits en provenance de l'Europe, malgré une natalité en berne.

«Même les systèmes d'armement russes les plus sophistiqués sont souvent construits avec des composants électroniques ordinaires, que l'on peut aussi retrouver dans une large gamme de biens commerciaux», explique l'analyste James Byrne à Bloomberg. «Il est tout à fait possible que le complexe militaro-industriel russe importe des produits basiques pour les cannibaliser.»

Globalement, c'est tout le gros et petit électroménager moderne européen qui semble subitement intéresser les importateurs de divers voisins de la Russie. Alors, les autorités européennes essaient de suivre les circonvolutions de ces circuits commerciaux au plus près. Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen elle-même affirmait que les armes russes abandonnées sur le champ de bataille étaient bourrées d'électronique occidentale.

Itinéraires bis

Mais ces cheminements complexes sont difficiles à tracer et il est complexe de savoir, en définitive, où finissent ces produits importés, et pourquoi ils le sont. Porte-parole de la Commission européenne, Miriam Garcia Ferrer précise cependant que sont en permanence surveillés «les objets utilisés par l'armée russe en Ukraine, sur la base de l'analyse précise des armes abandonnées sur le champ de bataille».

L'Union européenne élargit ensuite le spectre de ses sanctions et des entreprises visées selon ce que révèlent ces analyses du matériel militaire russe, mais il lui est difficile sinon impossible de suivre avec précision le cheminement de tout ce qui dépasse ses frontières.

Dans le cas de l'Arménie, du Kazakhstan et de la Russie, Bloomberg rappelle notamment qu'ils font tous partie d'une zone commerciale commune, l'Union économique eurasiatique, où les contrôles aux frontières ont été abolis.

Et si Astana a officiellement déclaré ne pas souhaiter aider Moscou dans son entreprise militaire en Ukraine, rien n'empêche quelques businessmen malins et sans scrupules de profiter de la pénurie pour fournir le grand voisin en électroménager à décortiquer.

Ces questions ne sont pas propres à la Russie, mais se posent pour le monde dans son intégralité. Récemment, l'Ukraine a mis la main, en le piratant puis en le détournant, sur un Mohajer-6 en parfait état, l'un des drones iraniens achetés à l'Iran par Moscou pour suppléer ses missiles qui viennent à manquer.

Après analyse, le Wall Street Journal révélait que l'engin était bourré de composants étrangers, provenant de nations occidentales ou asiatiques ayant pourtant placé Téhéran sur liste noire.

C'est également le cas d'autres appareils iraniens descendus par les défenses anti-aériennes de Kiev, les Shahed-136, les fameux drones au bruit de mobylettes que la Russie balance se suicider sur des cibles civiles en Ukraine, et ce pourrait être le cas de missiles que Moscou cherche à acquérir auprès de Téhéran.

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