Oublions la guerre de Cent Ans, pardonnons Mers el-Kébir, mettons de côté la demi-finale de la Coupe du monde de rugby en 2011. La plus grande des traîtrises de nos voisin·es britanniques vis-à-vis de nos fiertés centenaires est peut-être celle qu'est en train de réaliser une poignée de financiers de haut vol, qui ont quitté la City pour se lancer dans un projet fou: faire de leur pluvieuse Albion une nouvelle nation du vin.
«Le rock français, c'est comme le vin anglais», aurait déclaré feu John Lennon. Mais les temps changent, et le climat aussi. Comme le rapporte Bloomberg, la hausse des températures a accru l'intérêt de quelques banquiers fortunés pour les terres anglaises ou galloises, où la vigne peut désormais produire un vin suffisamment qualitatif pour remporter des prix au nez et à la barbe de concurrents hexagonaux.
Si nous sommes encore très loin des volumes italiens, français ou espagnols, la viticulture se développe à bon train en Grande-Bretagne. Alors que 5 millions de bouteilles de vin étaient produites outre-Manche en 2015, le chiffre est passé à 13,2 millions en 2018, les surfaces cultivées ayant gagné 80% sur la même période.
Des livres et des bulles
Dans la «unapologetically British» Hattingley Valley ou dans le Kent, les grands du secteur (Taittinger ou Vranken-Pommery Monopole) investissent dans des vignobles locaux, en privilégiant les bulles: le Royaume-Uni, plus gros importateur de champagne (27 millions de bouteilles en 2018), semble se spécialiser dans les vins pétillants.
Sans doute faut-il y voir une manière pour les Britanniques de se préparer aux conséquences éventuelles du Brexit et d'étancher leur soif grandissante pour autre chose que de la bière. «Il ne peut y avoir une production infinie de champagne, et nous avons désormais des vins produits ici qui peuvent être au même niveau», assure Davy Zyw, négociant en vins.
Louées pour leurs similitudes avec le terroir champenois, les terres du sud de l'Angleterre sont comparativement très peu chères. À l'achat, un hectare y est dix à vingt fois moins coûteux qu'en Champagne, ce qui permet aux ex-financiers d'investir moins massivement pour démarrer leur aventure.
Tout n'est pas rose (ou rosé) pour autant: Bloomberg note que nombre de ces vignobles sont autofinancés, les banques hésitant assez logiquement à placer des billes dans ce qui semble encore être un pari osé.