Fin novembre et début décembre 2022, une curieuse vague d'attentats terroristes à la lettre piégée choquait Madrid. Avaient notamment été visés le Premier ministre Pedro Sánchez; la ministre de la Défense Margarita Robles; une base aérienne; l'usine de Saragosse du fabricant d'armes Instalaza, dont certains des produits ont été envoyés par le gouvernement espagnol à Kiev; ou encore l'ambassade d'Ukraine.
L'Ukraine: voilà le point commun reliant les cibles de cette nébuleuse campagne terroriste, qui n'a fait aucun mort mais tout de même un blessé, un employé de l'ambassade d'Ukraine touché par l'explosion du paquet incriminé. L'enquête est en cours, menée par Madrid mais à laquelle participent des agents d'autres pays amis.
Comme l'explique le New York Times dans un article plutôt effrayant mais bourré de conditionnel et basé sur le témoignage d'officiels américains ou européens anonymes, il se pourrait que cette campagne ne soit qu'un premier signe, envoyé de manière indirecte par le Kremlin, pour prévenir les soutiens occidentaux de l'Ukraine que d'autres actions, pourquoi pas de plus grande envergure, seraient possibles en cas d'escalade du conflit.
Un groupe en particulier attire l'attention des enquêteurs. Nommé le Mouvement impérial russe, déjà classé comme terroriste par les États-Unis, il s'agit d'un groupuscule d'extrême droite constitué de suprémacistes blancs, de monarchistes réclamant le retour du tsarisme, aux convictions ultra-nationalistes et antisémites.
S'il est déjà dans le viseur de nombreux observateurs et agences dans le monde, c'est qu'il constitue une certaine menace: le Mouvement impérial russe disposerait de camps d'entraînement, à Saint-Pétersbourg, où la fine fleure de l'extrême droite européenne viendrait faire ses armes avant d'éventuelles actions, comme à Göteborg (Suède) en 2016, contre des centres pour réfugiés.
Vous avez un message
L'organisation paramilitaire n'est pas particulièrement friande de l'action de Vladimir Poutine, qu'elle critique vertement. Mais le mouvement nourrit des liens étroits avec les barbouzes russes, en particulier la direction générale des renseignements, aussi connue sous le nom de GRU.
Or, le GRU n'a pas vraiment fait dans la dentelle en Europe ces dernières années, en particulier une unité très secrète œuvrant en son sein: l'unité 29155. Cette dernière serait par exemple derrière l'affaire Skripal, du nom de cet espion russe que le Kremlin a cherché à faire empoisonner à Londres, tuant une personne au passage et provoquant une grave crise diplomatique.
Ces dernières années, l'unité 29155, ou du moins des agents du GRU, auraient aussi été derrière une tentative de coup d'État en Moldavie, au Monténégro, des attentats à la bombe en République tchèque et en Bulgarie. Des agents russes sont aussi derrière la tentative de manipulation des élections américaines en 2016, et il se dit que la trouble officine aurait payé des récompenses aux talibans pour tuer des militaires américains en Afghanistan.
Bref, le GRU est des plus offensifs dans ses tentatives de déstabilisation. Il ne serait pas tout à fait étonnant qu'il se soit appuyé sur le Mouvement impérial russe pour semer le trouble dans les hautes sphères européennes et faire passer un message.
Ce jeu à plusieurs bandes permet en outre de nier une quelconque implication en cas de problème. Mais le message est aussi clair que simple: si les choses dégénèrent et si l'ordre en est donné, nous pouvons le faire, nous pouvons viser votre territoire, nous pouvons viser vos élites.