Une caméra et un réseau de neurones artificiels dans la tête, Ai-Da dessine des portraits et natures mortes sans que quiconque ne supervise ses mouvements. C’est la première fois qu’une intelligence artificielle (IA) dotée de capacité créative ressemble à un humain.
L’IA s’était déjà mise au service de la création par le passé. En 2011, Patrick Tresset présentait Paul, un bras articulé capable de tracer ce qu’il voit sur le papier. On se souvient aussi du Portrait de Edmond Belamy vendu 432.500 dollars (un peu plus de 381.000 euros) par Christie’s. La liste des exemples est longue. L’intelligence artificielle en art fascine car elle accouche d’images qui, sans elle, n’auraient pu voir le jour: grâce à l'IA, nous pouvons désormais nous faire une idée du monde tel qu’il se dévoile aux machines.
Les œuvres de notre androïde ne sont pas encore visibles. Elle feront l’objet d’une exposition en mai à l'université d’Oxford, et on a hâte de pouvoir les juger. Anthropomorphique ou non, l’intelligence artificielle reflète toujours en miroir les intentions de son concepteur ou de sa conceptrice. C’est cette personne qui détermine les conditions gouvernant sa créativité, même si elle lui échappe ensuite.
Ai-Da, en l’occurrence, n’a pas été conçue par des artistes. Comme le fameux programme d’images hallucinogènes Deepdream, elle a été élaborée par une entreprise privée. À son initiative, Engineered Arts, une société britannique de robotique, de communication et de divertissement: Ai-Da en reflète la vision du monde.
«Vallée de l'étrange» et stérotypes de genre
Le fait qu’elle soit féminine est révélateur. On connaît la sous-représentation des femmes dans le monde de l’art. En avril 2015, elles étaient à l’origine de seulement 7% des œuvres exposées au MoMa.
D’après le rapport 2018 «Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture», 85% des expositions-hommages en France sont dédiées à un homme. Tirant son nom de la pionnière de l’informatique Ada Lovelace, Ai-Da serait ainsi le symptôme d’une évolution des mentalités. À moins que ce soit l'inverse.
Ce n’est en réalité pas un hasard si les androïdes célèbres sont systématiquement des femmes. Prenons l’exemple d’Erica la japonaise prenant les rênes d’un JT ou de Sophia qui recevait en 2017 la citoyenneté saoudienne. Selon la théorie de «vallée de l’étrange», de Masahiro Mori, les robots humanoïdes nous angoissent car ils ne sont pas encore assez réalistes.
Les concepteurs (surtout des hommes) féminisent ainsi pour le moment leurs robots en se fondant sur les stéréotypes de genre. Dociles, les femmes rassureraient. S’apparentant à des objets, elles ne risqueraient pas de se révolter contre les humains, surtout si elles sont jeunes et jolies. À l’instar d'Ai-Da.