C'est une question vitale pour chaque être humain sur la planète, rendue extrêmement complexe lorsque les lieux d'aisance viennent à manquer, plus encore en temps de pandémie, et que les cadences infernales ne laissent même pas le temps d'un soulagement pourtant bien légitime: où et comment faire pipi?
Ce casse-tête indigne, auquel les coursiers uberisés d'Uber Eats ou Deliveroo notamment sont confrontés chaque jour, est également bien connu de l'armée de livreurs du géant Amazon.
Déjà engluée dans de multiples scandales, de la surveillance de ses chauffeurs aux manœuvres douteuses contre les velléités syndicales de ses troupes en passant par une guérilla sur Twitter contre Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, la firme a ainsi récemment engagé ce que l'on pourrait appeler «la guerre des bouteilles d'urine».
Comme le raconte Vice, le casus belli fut un tweet de l'élu du Wisconsin Mark Pokan. «Payer vos travailleurs 15 dollars de l'heure ne fait pas de vous un “employeur progressiste” si vous vous attaquez aux syndicats et obligez les travailleurs à uriner dans des bouteilles en plastique», attaquait l'édile.
Paying workers $15/hr doesn't make you a "progressive workplace" when you union-bust & make workers urinate in water bottles. https://t.co/CnFTtTKA9q
— Rep. Mark Pocan (@repmarkpocan) March 25, 2021
Une attaque directe à laquelle Amazon s'est sentie obligée de répondre directement. «Vous ne croyez pas vraiment à cette histoire de faire pipi dans des bouteilles, si? Si c'était vrai, personne ne travaillerait pour nous», tweetait ainsi l'entreprise, avant de dérouler son habituel blabla sur les centaines de milliers de personnes qui, partout dans le monde, sont heureuses de travailler pour elle, avec de bons salaires et une bonne couverture santé.
De mal en pisse
Peut-être la firme de Jeff Bezos aurait-elle, ce jour-là, mieux fait de laisser son clavier tranquille et de se faire plus discrète. Car en l'absence d'accès à des toilettes et du fait de rythmes quasi inhumains, la problématique des chauffeurs forcés de soulager leurs vessies dans des bouteilles est réelle, bien connue, et lui est revenue en pleine face comme un boomerang.
La situation est largement discutée et documentée, notamment sur le subreddit r/AmazonDSPDrivers. De nombreux témoignages et photos de bouteilles d'urine peuvent aisément y être trouvées, illustrant le calvaire de ces forçats du colis qui partagent sur le forum leurs ressentis, trucs et astuces –tout en étant étroitement surveillés par une équipe secrète au sein d'Amazon.
«On nous presse pour que notre tournée soit bouclée avant la nuit, et trouver des toilettes peut signifier faire un détour de dix à quinze minutes», explique un chauffeur anonyme à Vice, qui a rassemblé de nombreux témoignages en ce sens.
«Je peux vous dire que si je vais à ces toilettes mais que je reviens au dépôt chaque soir avec des colis non livrés, ce sera considéré comme une faute, et ça peut me coûter mon emploi», poursuit l'anonyme. «Nous devrions tous tweeter nos bouteilles de pisse à Amazon», a réagi un chauffeur sur Reddit à la suite de cet échange de tweets abondamment commenté.
Vice note que les chauffeurs ne sont pas les seuls concernés par ce scandale de la pause pipi. Dans les entrepôts de la firme, les cadences exigées poussent nombre de salariés à ne pas s'arrêter aussi souvent qu'ils en auraient besoin, de peur de «sous-performer» et, in fine, de perdre d'éventuels bonus, voire leur emploi.
C'est l'une des revendications courantes des personnes cherchant à s'organiser en syndicat dans l'entrepôt de Bessemer, dans l'Alabama. Du résultat de ce vote crucial et très scruté dépendent de nombreuses choses, au sein d'Amazon comme, peut-être, dans toute la société américaine.