Une image tirée de Turtle Journey, Prix du jury pour un film de commande, produit par les studios Aardman pour Greenpeace. | Festival Annecy via flickr
Une image tirée de Turtle Journey, Prix du jury pour un film de commande, produit par les studios Aardman pour Greenpeace. | Festival Annecy via flickr

Annecy 2020, ou comment organiser un festival en ligne malgré tout

Face au Covid-19, cette édition du rendez-vous du cinéma d'animation a pris la voie numérique.

«Annecy! Annecy! C'est le plus beeaauu des festivauuuux» (sic). Les fans du Festival international du film d'animation d'Annecy qui connaissent cette chanson par cœur vous en parlent avec des étoiles un peu trop brillantes dans les yeux?

Normal: l'événement est un moment fantastique pour toute âme ayant la chance de s'y rendre. Ouvert au public, il est un énorme creuset de l'industrie où averti·es, artistes, professionnel·les de tous bords et étudiant·es interagissent, passent la journée à regarder des longs et courts-métrages, puis se couchent après avoir bien bu et mangé gras.

Dans un décor montagnard et humide, très chaud ou très pluvieux selon les années, les festivalièr·es cavalent aux quatre coins de la ville pendant une semaine fin juin, entre projections en plein air et repos sur le Pâquier, pendant que l'aspect marché se déroule au Mifa.

On balance des avions en papier sur les écrans et on hurle «LAPIN!» en boucle: c'est la belle vie, un excellent moment de proximité entre les fans d'animation, un sanctuaire qui attend ses fidèles chaque année.

Chaque année, vraiment? L'événement devait fêter en 2020 son soixantième anniversaire –avec l'Afrique en thème spécial– mais le Covid-19 en a décidé autrement. Le 7 avril, deux mois avant, son organisateur, le Citia, annonce jeter l'éponge. Twist: il y aura tout de même une édition, et elle sera virtuelle.

Ces deux annonces conjointes font du deuxième festival français de cinéma une entité plus prévoyante que le premier: Cannes, pendant ce temps, s'est enfoncé dans un déni un peu trop long et se retrouve avec un label sur les bras, sans Croisette ni palmarès.

Essuyer les plâtres en ligne

Le festival d'Annecy est organisé, depuis le 15 et jusqu'au 30 juin, sur une plateforme en ligne. Ce n'est pas tout à fait le premier dans son genre: il fait partie du collectif We Are One, qui rassemble des œuvres de plusieurs rendez-vous; début juin, le Champs-Élysées Film Festival a tenté lui aussi sa version numérique.

Pour cet Annecy à la maison, tout un chacun pouvait s'inscrire pour quinze euros et avoir accès aux diverses compétitions: longs et courts-métrages, courts étudiants, de TV et de commande ou bien encore une sélection en réalité virtuelle (un peu compliqué sur la télé), des rencontres programmées (vidéos de work in progress et masterclass).

Pour prévenir les abus, la plateforme a imposé quelques mesures. Une limite de temps globale est ainsi décidée, et on ne peut visionner une vidéo que deux fois –remercions le site de ne pas imposer d'autoplay. Il ne manque qu'un champ «recherche» dans ce site par ailleurs plutôt intuitif.

La voie numérique impose cependant un embargo sur les films français et japonais de la sélection. Peur du piratage, chronologie des médias, problèmes d'ayants droit... Les longs-métrages les plus attendus ne sont présents qu'en théorie –un extrait de dix minutes est tout de même disponible pour se faire une idée.

Pas de chance, Calamity, grand gagnant de cette édition, faisait partie de cette sélection que seul le jury a pu visionner. Une fermeture logique mais paradoxale: la passion pour les métrages japonais, depuis quelques années, offre à l'événement un public nouveau très friand de nouveautés.

Anomalie dans la matrice

Nous avons contacté Marcel Jean, directeur artistique du festival, pour commenter cette petite anomalie dans la chronologie des médias. Les distributeurs étrangers sont-ils frileux à l'idée de diffuser leurs films sur internet? «Vous le savez, je suis canadien et j'ai pris dans mon pays des positions assez controversées quant à la chronologie des médias», rappelle-t-il.

«J'ai l'intime conviction qu'en Amérique du Nord, il faut repenser celle-ci de manière plutôt radicale, puisque qu'elle semble d'abord servir les blockbusters et la vente du pop-corn. Au Canada, les exploitants qui disent défendre le cinéma refusent de programmer les films canadiens et européens, se limitant à présenter les grandes franchises américaines. Je ne vois pas pourquoi je monterais aux barricades pour défendre les super-héros!»

En France en revanche, Marcel Jean vante les mérites d'un réseau «de salles d'art et essai et de véritables politiques de défense du cinéma». Il précise: «Je respecte ça et il ne m'appartient pas de remettre ce système en question. Quant au reste, Annecy Online n'est pas une plateforme ouverte, c'est l'équivalent du festival: il faut être accrédité pour visionner et le nombre d'accréditations est limité. [...] Il faut donc voir les choses pour ce qu'elles sont. Si vous êtes le distributeur d'un film et que vous avez les droits pour la Pologne, par exemple, il y a au maximum une centaine d'accrédités polonais au festival cette année. Ils ne vont normalement pas tous regarder votre film, alors ça signifie que quelques dizaines de spectateurs auront vu le film... À l'échelle d'un pays, c'est absolument marginal! Les intervenants avec qui nous discutons comprennent ça.»

Calamity de Rémi Chayé, lauréat de l'édition 2020, n'était pas disponible en intégralité.

Cette première édition numérique n'a en rien obéré son affluence habituelle. Au contraire: tous comptes faits, Marcel Jean espère 2.000 à 3.000 accrédité·es suppplémentaires par rapport à l'année dernière, sensiblement plus que la croissance normale du festival.

Hélas, parfois, le nombre de personnes présentes au festival n'est pas si loin du score des films au box-office, même pour les primés. Mis à part les récents J'ai perdu mon corps et Ma Vie de Courgette, les Cristaux ne rencontrent pas toujours leur public.

Marcel Jean suppose qu'il y a sans doute «un problème de perception du cinéma d'animation chez une bonne part des cinéphiles français: il y a beaucoup de résistance vis-à-vis de la production destinée aux adultes. En tant que Canadien, j'ai l'impression que cette question est moins problématique chez nous. J'ai bon espoir que les choses évoluent dans le bon sens, mais ce combat est le nôtre et il faut continuer à le mener.»

Et pour l'année prochaine? S'il est raisonnable de penser qu'un vaccin contre le Covid-19 ne sera pas encore disponible en juin 2021, cela pose automatiquement la question de la tenue du festival.

«Forts de notre expérience récente et des outils mis en place pour l'édition en ligne, nous allons probablement travailler de concert édition physique et édition en ligne», explique Mickaël Marin, directeur du Citia. «Il est encore tôt pour connaître le périmètre et le contenu des activités en ligne mais il faudra se tenir prêt en cas de reconfinement. C'est un scénario que nous souhaitons éviter mais nous ne pouvons pas l'ignorer.»

Tant qu'à faire, que regarder?

Il n'est pas trop tard pour piocher dans cette sélection tout en contrastes: Arte propose sa propre curation de huit courts à croquer sans fin. Vous le verrez, ils sont à l'image des sélections –souvent sombres.

N'hésitez pas à regarder le work in progress du prochain film de Masaaki Yuasa. Ou de l'adaptation du Sommet des dieux. Ou celui qui fête les 20 ans de Chicken Run et accompagne l'annonce d'une suite. En attendant son prochain long, l'auteur de Psiconautas, Alberto Vásquez, propose Homeless Home, sa dernière œuvre, toujours aussi envoûtante.

Le film Kill It and Leave this Town de Mariusz Wilczyński est un bon exemple de cette tendance apocalyptique. Pour Lupin III et Calamity en revanche, ce sera en salle pour toutes celles et ceux qui ne faisaient pas partie du jury.

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