Moins actif qu'ils ne le fut, le collectif Anonymous pourrait renaître de ses cendres. | Tom Roberts via Unsplash
Moins actif qu'ils ne le fut, le collectif Anonymous pourrait renaître de ses cendres. | Tom Roberts via Unsplash

Pourquoi on n’entend (presque) plus parler d’Anonymous

Autrefois redouté, le célèbre collectif semble avoir perdu de sa superbe au cours des dernières années. Pour mieux renaître de ses cendres?

Il y a quelques années encore, leur nom était craint et entouré de fascination. «Nous sommes Légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Redoutez-nous»: leur devise sonnait comme un avertissement. Chacune de leurs sorties était commentée. Leur rencontre avec la scientologie avait braqué les projecteurs sur eux. Visa, PayPal, Mastercard et surtout HBGary et HBGary Federal se souviennent encore de leur passage.

La quasi-disparition

Pourtant, aujourd’hui, à l’exception de coups d’éclats menés çà et là, Anonymous semble avoir disparu de la circulation et un petit tour sur Google News semble finir de nous en convaincre. Il y a bien eu quelques campagnes après les attentats du 13 novembre 2015, sans qu’on sache vraiment si elles ont eu un quelconque effet. Plus récemment, la campagne #OpICE lui a fait identifier des dizaines de personnes travaillant pour les services américains de l’immigration, mais n’a reçu quasiment aucun écho de la part de sa communauté ou des médias.

La répression et les arrestations ont fait que les gens n’ont pas voulu être les suivants sur la liste.
Gabriella coleman, autrice de "Anonymous, Hacker, activiste, faussaire, mouchard, lanceur d’alerte"

Ce constat n’est pas vraiment nouveau: en 2016, déjà, Vice News se demandait si Anonymous n’était pas fini. «Cela dépend d’où on parle», nuance Gabriella Coleman, professeure à l’université de McGill au Canada et autrice de Anonymous, Hacker, activiste, faussaire, mouchard, lanceur d’alerte aux éditions Lux. «Dans le monde anglophone, il n’existe plus que sous la forme d’opérations de communication. Ils relaient des campagnes sur Twitter, Facebook dans leurs émissions.»

Selon la spécialiste du mouvement, c’est en grande partie à cause des arrestations (pour certaines dues à une trahison romanesque) qu’Anonymous a perdu en importance. «Ils n’étaient pas organisés pour que d'autres les remplacent au fil du temps. Ça a pris un moment. Mais la répression et les arrestations ont fait que les gens n’ont pas voulu être les suivants sur la liste. Certes, ça n’a pas été le cas partout, mais je ne suis pas très surprise par ça. Il y a eu des arrestations en France, en Italie, aux États-Unis… des lieux très actifs.»

Parmy Olson, autrice de We Are Anonymous, soulignait également à quel point certaines trahisons ont fait du mal au mouvement, quand elle était interrogée par Wired en 2014. «Le problème d’Anonymous est que pour avoir du succès, il faut recevoir beaucoup d’attention. Mais il devient alors beaucoup plus facile de les traquer.»

Anonymat et charisme, des besoins paradoxaux

Les deux autrices pointent par ailleurs l’absence d’organisation, qui a empêché le remplacement des personnes arrêtées au sein du mouvement. Et comme l’explique Parmy Olson, parmi les raisons qui ont attiré des centaines de personnes à rejoindre Anonymous, il y avait le fait que le mouvement était animé par des personnes sous pseudonymes, mais charismatiques.

Or, écrit Wired, «les qualités nécessaires pour être à la tête d’Anonymous sont à l’antithèse du maintien de l’anonymat. Ce travail requiert quelqu’un de charismatique pour inspirer les gens à soutenir une cause, mais qui a aussi les capacités techniques et suffisamment de discipline pour rester anonyme. Il est compliqué de faire aussi bien l’un que l’autre».

Contacté par Vice, Wauchula Ghost, un hacker affilié à Anonymous, observe également que le déficit d’attention des médias pour Anonymous vient d’Anonymous lui-même. Pour lui, il y a eu «trop de fausses revendications de gens se réclamant d’Anonymous. Tous les jours, il y a une nouvelle vidéo d’Anonymous, mais il n’existe aucun mouvement derrière. Les gens doivent comprendre qu’acheter un masque et créer un compte Twitter ne suffit pas. Il faut se battre pour ce en quoi on croit».

Ce besoin d’engagement a également joué un rôle dans le délitement d’Anonymous, si l’on en croit Whitney Philips, autrice de This Is Why We Can’t Have Nice Things. Elle rappelle ainsi qu’il existait deux grandes tendances au sein d’Anonymous: Anonymous avec un grand A, plein de valeurs souvent progressistes, et anonymous avec un petit a, surtout là pour troller.

Alors forcément, de la première opération anti-scientologie à la réponse au mouvement Occupy, en 2011, les factions se sont éloignées et leurs membres avec, ce qui a contribué à la perte de puissance du mouvement qui a ensuite eu du mal à se renouveler.

En Espagne, ils s’en prennent à la fois au gouvernement et aux entreprises. Ils ont fait pas mal de hacks contre le Premier ministre. Ils s’en sont également pris à de grandes entreprises et de grands magasins.
Gabriella coleman, autrice de "Anonymous, Hacker, activiste, faussaire, mouchard, lanceur d’alerte"

La résistance espagnole

Pourtant, si Anonymous a disparu (ou presque) du monde anglophone, il existe encore de petites poches actives. «En Espagne, et dans certains pays d’Amérique du Sud, il y a toujours beaucoup de piratages, poursuit Gabriella Coleman. L’Espagne est sans doute le lieu où Anonymous est le plus actif. Il y a plusieurs groupes comme La Nueve, qui a été très actif ces dernières années, ou d’autres groupes comme Anonymous España. Certaines raisons font qu’Anonymous est resté fort en Espagne, mais en termes de mouvements de hacking internationaux, Anonymous a disparu.»

Les mouvements restants se concentrent surtout sur des problématiques locales, ce qui explique également le manque de reprises dans la presse internationale. «En Espagne, ils s’en prennent à la fois au gouvernement et aux entreprises. Ils ont fait pas mal de hacks contre le Premier ministre. Ils s’en sont également pris à de grandes entreprises et de grands magasins. Certains ont montré des relations louches entre des entreprises et le gouvernement. Ça a permis de rendre publiques des informations qui n’existaient pas jusque-là. Le groupe qui a le plus réussi sur ce point-là est XNet. Ils ont trouvé leur inspiration chez Anonymous. Ils ont mis en place une boîte aux lettres en ligne et ont reçu des mails sur la corruption dans le monde bancaire, qui ont impliqué des banquiers. Donc ça a réussi.»

Surtout, leurs membres ont réussi à passer entre les mailles du filet pour l’instant. «En Espagne, les seules arrestations étaient celles de personnes accusées de DDoS, et elles s’en sont sorties. Aucun autre hacker n’a été arrêté en Espagne. C’est important, parce qu’ils continuent à être très actifs, même si leur activité n’est pas toujours très régulière. La Nueve a arrêté pendant un an avant de revenir sur le devant de la scène. Mais c’est sans doute mieux pour leur sécurité. Ils hackent, postent le hack et disparaissent.»

Gabriella Coleman note par ailleurs que d’autres mouvements liés à Anonymous continuent de prospérer à d’autres endroits de la planète comme en Amérique centrale et en Amérique du Sud, même si l’on en entend peu parler. «Je sais qu’il y a des actions au Mexique. D’une certaine façon, c’est plus sûr pour eux que l’on n’en entende pas trop parler, parce que des gens comme vous et moi n’écrivons pas dessus. Peu de personnes suivent ce qu’ils font. Et c’est vrai de plusieurs mouvements Anonymous internationaux.»

Elle décrit ainsi les actions de groupes en Asie, et notamment en Thaïlande. Et ils reprennent généralement les noms de code des opérations tels qu’Anonymous les a lancés, selon la formule: #op-nom-de-l’opération).

L'horizon de la réinvention

Reste que même si Anonymous fait moins les gros titres dans le monde occidental, son héritage lui survit avec des personnes comme Phineas Fisher, qui cite explicitement le groupe parmi ses inspirations, poursuit Gabriella Coleman.

«Il suit les traces d’Anonymous dans sa manière de cibler les entreprises de sécurité, mais est aussi beaucoup plus prudent. Il n’a jamais été attrapé. Si des hackers veulent continuer, ce sera plus avec ce type d’actions sporadiques. Il faut beaucoup de travail pour hacker ce genre d’entreprises. Ça ne prend pas qu’une semaine. Il faut prendre son temps, le faire, et puis disparaître. Pour des raisons de sécurité, ce n’est pas une super idée que de rester là.»

La (belle) couverture du livre de Gabriella Coleman sur le collectif Anonymous. | Lux

Gabriella Coleman note ainsi le rôle majeur d’Anonymous dans la stratégie de «hack and leak» (à savoir récupérer des données, et les publier en ligne) dans laquelle se fond parfaitement Phineas Fisher. «Ça va continuer. À la fois pour les hacktivistes et pour les États-nations. C’est à la fois bien et effrayant. Ça pourrait être utilisé de plusieurs façons différentes. Je pense que ça peut aboutir à des résultats positifs. Ces genres de “hacks and leaks” peuvent révéler des choses sur la corruption… Mais le timing de ces fuites est également important. Qui fait quoi, dans quel but, et ça devient vite complexe. Je pense qu’Anonymous a posé les bases de cette tactique.»

Quant à un possible retour d’Anonymous sur le devant de la scène dans le monde anglophone, si certains signes semblent positifs, Gabriella Coleman a du mal à l’anticiper: «C’est dur à dire. C’est possible. La logique du nom, qui veut que tout le monde puisse s’en réclamer, le masque de Guy Fawkes qui est bien identifié avec ce monde.... C’est complètement possible. Mais c’est dur à dire». Comme elle l’expliquait déjà à Wired en 2014, «Anonymous est configuré d’une façon qui n’est pas vraiment idéale pour sa propre reproduction sociale. En revanche, c’est idéal pour une réinvention, plus tard».

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