La Chine est, on le sait, friande de science-fiction; le pays avance à bottes de sept lieues sur la voie de la domination technologique mondiale et son pouvoir central est, ce n'est pas un secret, très porté sur la censure, le contrôle et la manipulation de l'information.
Les trois phénomènes peuvent parfois se lier pour faire naître d'étranges fantasmes, en particulier s'ils se frottent à l'univers des business plans fous de start-ups mystérieuses, et à la crédulité de celles et ceux qui pourraient souhaiter y investir.
Ainsi de la rumeur expliquant que le très sérieux Institut de physique des hautes énergies de l'Académie chinoise des sciences (IHEP) s'était associé à une firme privée, nommée Ruitai Technology Development Technology, pour concevoir et bâtir une machine à voyager dans le temps.
L'information a commencé à circuler en ligne en même temps qu'une douteuse présentation Powerpoint, présentant un «Space-time Tunnel Generation Experimental Device» sur lequel le très sérieux institut national plancherait, en collaboration avec ladite start-up.
«L'appareil peut tordre l'espace et le temps, contrôler l'écoulement de ce dernier, briser la barrière de l'espace et du temps, peut être utilisée pour voyager dans le temps, les voyages interstellaires, l'allongement de la durée de vie, etc.», explique ainsi, sans rire, le document.
Qui dit aussi avoir besoin de lever 200 millions de dollars (164 millions d'euros) pour offrir au monde cette machine merveilleuse, dont la valeur future est dans le document estimée «de manière prudente» à 838,2 milliards de dollars (notez la virgule).
Retour vers le turfu
L'invention, est-il encore précisé, a été reconnue et saluée par le prix Nobel de physique Gao Kun, membre de l'Académie chinoise des sciences, et par les chercheurs Li Jing, Zhao Guangheng ou Niu Shuqiang. Un gage de sérieux.
Du moins jusqu'à une simple recherche sur Internet: aucune personne du nom de Gao Kun n'a jamais reçu de prix Nobel, et Li Jing, Zhao Guangheng ou Niu Shuqiang semblent n'exister que dans un monde parallèle au nôtre.
Quant à Ruitai Technology, elle n'a déposé ses statuts d'entreprise qu'à la fin du mois de décembre 2020. Tout ceci ressemble donc fort à une vaste fumisterie, au minimum, voire à une tentative d'arnaque pure et simple.
Mais l'information commençant à largement circuler sur les réseaux chinois, l'Académie des sciences de Pékin a publié un communiqué officiel pour préciser que, non, elle ne travaillait pas sur une machine à voyager dans le temps, et que les informations présentées n'étaient que «de la fausse propagande».
À la suite de la très sérieuse institution, le patron de Ruitai Technology, un parfait inconnu du nom de Guo Weiwei, a lui aussi nié l'existence d'une telle collaboration, expliquant qu'une firme marketing externe avait «créé la présentation par erreur», à des fins de financement.
Drôle d'erreur, et drôle d'excuse tout de même. Peut-être Weiwei a-t-il visité un futur où son étrange arnaque, un peu trop visible, l'avait mené droit dans les geôles chinoises.