Il est interdit pour les médecins de diffuser des photos de leur patientèle, même anonymisées et même si la personne concernée a donné son accord par écrit. | Karelys Ruiz / Unsplash

Il est interdit pour les médecins de diffuser des photos de leur patientèle, même anonymisées et même si la personne concernée a donné son accord par écrit. | Karelys Ruiz / Unsplash

Quand la chirurgie esthétique s'empare d'Instagram

Des photos de lifting avant/après aux stories en bistouri, les médecins font leur promotion sur la plateforme. Une pratique qui interpelle le Conseil national de l'Ordre.

Avec 16.000 personnes abonnées à son compte, le Docteur Louafi est devenu une personnalité sur Instagram. Selfies au bloc opératoire, stories avant/après épinglées… Le chirurgien esthétique parisien maîtrise tous les codes. «Aujourd'hui, tout le monde communique sur les réseaux sociaux. C'est une évolution historique: on ne peut pas ne pas être là où les patients sont», estime-t-il.

Un e-shop des opérations esthétiques

Selon une enquête du Parisien, la chirurgie esthétique explose chez les 18-34 ans, qui y font désormais plus appel que les 50-60 ans. Moins intimidant qu'un cabinet de médecin, Instagram est devenu un espace de choix pour puiser de l'inspiration ou prendre contact avec des professionnel·les. Les opérations d'augmentation des seins ou de lifting des fesses sont devenus des hashtags à plusieurs centaines de milliers de publications.

Portés par cette vague d'intérêt, les cabinets ont déployé des stratégies offensives de communication. C'est le cas, notamment des tour-opérateurs de la chirurgie.

La clinique esthétique Medespoir, «leader du tourisme médical en Tunisie», s'est dotée d'un compte très actif, suivi par près de 22.000 personnes. Pour attirer la clientèle française, elle publie régulièrement des témoignages de personnalités du web ou de la télé-réalité passées sur ses tables d'opération.

Soit on se met en dehors de ce champ et on laisse la porte ouverte à des non-médecins qui proposent des actes dangereux et font des erreurs, soit on investit nous-mêmes ce terrain.
Docteur Louafi, chirurgien et instagrammeur

La microchirurgie se développe aussi sur le réseau, à travers les comptes d'esthéticiennes qui proposent des injections de produits amincissants à domicile. Cette concurrence pousse les chirurgien·nes français·es qui veulent se faire une place à défendre leur expertise: «C'est un choix. Soit on se met en dehors de ce champ et on laisse la porte ouverte à des non-médecins qui proposent des actes dangereux et font des erreurs, soit on investit nous-même ce terrain», explique le docteur Louafi.

Démarchage interdit

Mais peut-on être médecin et actif sur Instagram? Au téléphone, un chirurgien parisien nous explique avoir assuré ses arrières: «J'ai appelé l'Ordre, ils m'ont dit qu'être sur Instagram était toléré tant que je ne postais pas de lien sponsorisé.»

Pour l'heure, en France, la publicité reste interdite aux praticien·nes. Le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section déontologie à l'Ordre National des médecins, nous explique: «Les médecins ont le droit de faire de la communication sur leur activité. Ils peuvent indiquer leurs horaires, leurs spécialités, les langues qu'ils parlent…» Mais une zone grise demeure où l'on peine à définir ce qui relève de l'information (autorisée) et ce qui est du ressort de la publicité (interdite).

Serment d'hypocrite

La frontière est parfois poreuse entre référence professionnelle et promotion. Les médecins qui prennent l'habitude de se connecter développent des compétences marketing en repérant des hashtags populaires et les bons moments pour diffuser un post.

Au téléphone, un chirurgien parisien raconte avoir identifié son audience: «Des femmes jeunes, d'environ 25-35 ans.» Il regrette cependant de ne pas pouvoir poster ses publications de façon plus ciblée. Si aux États-Unis les actes chirurgicaux peuvent être filmés en direct et regardés par les proches, «on en est encore loin en France», estime le Dr Louafi.

Sur les photographies, les résultats sont toujours très réussis. C'est un appel à candidatures pour qui envisage la chirurgie esthétique.
Docteur Faroudja, président de la section déontologie à l'Ordre National des médecins

D'autres garde-fous sont évoqués par l'Ordre. «Il y a des médecins qui incitent leurs patient·es à faire des louanges à leur encontre. La médecine ne peut pas s'exercer comme dans le commerce», alerte le Docteur Faroudja.

Aujourd'hui, selon le Code de la santé publique, «lorsqu'il participe à une action d'information, un médecin doit se garder de toute attitude publicitaire.» Mais si l'on ne voit pas encore de praticien proposer de codes promos, ils sont déjà nombreux à publier des photos avant/après d'opérations esthétiques.

Une démarche qui gêne le Docteur Faroudja: «Sur les photographies, les résultats sont toujours très réussis. C'est un appel à candidatures pour qui envisage la chirurgie esthétique.» On sort alors du cadre de l'information, pour passer dans celui de la publicité commerciale. Or, quand on est dans la position de soigner, le sens de la mesure s'impose: on en est, dans ces cas, déjà loin.

Quid du secret médical?

La responsabilité des médecins se joue aussi sur un autre terrain: la diffusion des images. Les cabinets médicaux ont-ils le droit de diffuser ces images des corps de leurs patient·es sur un réseau social?

La question du consentement se pose: comment s'assurer que la personne en photo a bien accepté ou a été interrogée à ce sujet? «Pour tout acte de chirurgie esthétique, les patients doivent signer un formulaire de consentement, qui comprend des clauses spécifiques encadrant la diffusion sur internet», défend le Dr Louafi.

Un autre chirurgien confirme: «Les photos que je publie sur Instagram sont des photos de patientes qui ont signé ce formulaire. On ne reconnaît pas leurs visages, on ne donne pas leurs noms, on ne les tague pas.»

Pour le Docteur Faroudja, il est important de circonscrire l'usage de ces photos. «On doit utiliser des photos uniquement dans les situations où le médecin en a vraiment besoin, comme dans le cas de l'explication d'une technique», recommande-t-il.

Même dans ces cas-là, il est important de multiplier les précautions, selon lui: «On peut mettre un bandeau noir. On doit absolument s'assurer qu'on ne peut pas reconnaître l'identité de la personne.»

Une précaution qui ne devrait pas être prise à la légère: même si la personne donne son accord, ou souhaite que son nom soit inscrit, le médecin, lui, n'en a pas le droit. «Une jurisprudence stipule que le patient n'a pas le pouvoir de délier le médecin du secret qu'il s'est engagé à préserver.» La protection du secret médical prime toujours et les patient·es ne peuvent en aucun cas céder sur ce point.

Les photos de personnes opérées doivent être réservées à «un usage scientifique et didactique» selon le Dr Faroudja. Les pratiques des médecins esthétiques sur Instagram, nécessitent dans ce cadre d'être mieux réglementées.

Déontologie et réseaux sociaux

Entre révolution des usages et questionnements bioéthiques, la présence des médecins esthétiques sur Instagram pousse les institutions à changer les lois.

Dans une recommandation du 3 mai 2018, le Conseil d'État proposait déjà de supprimer «l'interdiction générale de la publicité» en la remplaçant par un «principe de libre communication… [dans le respect des règles déontologiques]».

Une recommandation saluée par ces Instamédecins, qui en appellent aussi à une évolution régulée. «On a le droit d'être présents sur Instagram, mais on ne peut pas non plus faire n'importe quoi. On est des médecins avant tout, il faut qu'on puisse communiquer, avec des règles de déontologie propres», défend un chirurgien parisien.

En janvier 2019, l'Autorité de la concurrence préconisait quant à elle de lever l'interdiction de publicité pour les professionnel·les de santé. Face à l'évolution imminente du droit européen, le Conseil national de l'Ordre a mis en place une réflexion pour faire changer les textes.

«Nous sommes en train de modifier les articles du code de déontologie. Nous ferons des recommandations sur ce qu'on peut mettre et ne peut pas mettre», explique le Dr Faroudja. Après une validation par le ministère de la Santé et le Conseil d'État, un guide des bonnes pratiques devrait être publié dans les prochains mois –le temps du numérique contre celui, plus lent, des institutions.

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