Trouver un thème porteur, choisir un script et le peaufiner, réussir le délicat puzzle du casting: le secret des succès au box-office réside traditionnellement dans l'intitution et l'expérience des studios et producteurs.
Mais comme dans chaque domaine des affaires humaines, la technologie et en particulier l'intelligence artificielle essaient désormais de se mêler de la détection des potentiels blockbusters. Quelques start-ups proposent ainsi aux décideurs incertains des outils pour affiner leurs prédictions de succès ou de flop.
Devinettes pour algorithmes
Fondée à Los Angeles par deux hommes extérieurs au monde de l'entertainement (haute finance et Nasa) mais rompus à l'usage du machine learning dans les processus décisionnels, Cinelytic est l'un des exemples étudiés par The Verge.
Son outil ingère des tonnes de data concernant les performances passées de longs-métrages, leurs castings ou leurs thèmes et cherche des tendances fines pouvant expliquer qu'un film rencontre le succès ou l'indifférence.
Les producteurs peuvent effectuer différents tests, comme modifier le casting, et observer en temps réel les changements de prédiction quant aux résultats attendus au box-office.
Une autre start-up, belge cette fois, a lancé en 2015 ScriptBook: ses créateurs promettent que leur algorithme est capable de prévoir le succès d'un film à la simple analyse de son script.
Contrairement à Cinelytic, ScriptBook a fourni à The Verge quelques exemples chiffrés pour des films sortis entre 2015 et 2018. Sur les cinquante longs-métrages cités, une petite moitié (44%) a trouvé ou dépassé l'équilibre financier. ScriptBook avait correctement deviné si un film serait profitable ou non dans 86% des cas –«le double de ce que l'industrie a atteint», se réjouit un data scientist de l'entreprise.
Incontournable instinct humain
Cette immixtion de l'intelligence artificielle dans la création cinématographique se heurte pourtant à quelques limites. La première est qu'une partie de ses découvertes relèvent simplement de l'évidence: associer Leonardo DiCaprio et Tom Cruise dans un film d'action a peu de risques de mener à l'échec.
La seconde est que ces algorithmes sont conservateurs: parce qu'ils ne peuvent se nourrir que de données du passé, ils échouent à intégrer certaines transformations culturelles ou évolutions soudaines des goûts du public.
Les acteurs du secteur semblent conscients de ces limites. Andrea Scarso, le directeur de la société de production britannique Ingenious Group, dit n'utiliser Cinelytic que comme un outil supplémentaire, qui peut permettre de pointer des éléments auxquels les êtres humains n'avaient pas pensé. Il ouvre au débat certains choix, mais n'est en aucun cas l'arbitre des décisions finales.
«On peut parfois découvrir comment une ou deux choses autour d'un même projet peuvent avoir un impact énorme sur ses performances commerciales, précise Scarso. Avoir à sa disposition quelque chose comme Cinelytic, en parallèle à nos propres analyses, prouve que certaines de nos suggestions ne sont pas des idées folles.»
La troisième limite à l'adoption large de ces outils est psychologique: faire publiquement appel à l'intelligence artificielle serait perçu à Hollywood comme un signe d'incompétence et de manque d'instinct.
Pour autant, cela n'empêche pas de nombreux studios d'utiliser ces outils en cachette, et encore moins Netflix de vanter les mérites de ses propres outils analytiques –forcément très développés, compte tenu de la position de producteur et de diffuseur de la plateforme de streaming.
Dès 2016, la firme affirmait ainsi que son très discuté algorithme de recommandations personnalisées lui faisait gagner un milliard de dollars chaque année.