S'il vous faut une traduction, cela signifie approximativemenr "Ciao Google". | FuckOffGoogle.de
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Comment Berlin a dit «Fuck Off» à Google

Faire plier Google, c’est possible: malmené par la contestation locale, le géant US a ainsi dû renoncer à s’implanter dans le quartier berlinois de Kreuzberg.

Hacker et activiste d’une trentaine d’années ayant ardemment contribué à la fronde anti-Google, Larry Pageblank («Larry Pagevide») nous donne rendez-vous dans un café de Kreuzberg, à quelques mètres des bords du canal et de l’imposante bâtisse en briques de l’Umspannwerk, ancienne usine électrique du quartier dans laquelle devait ouvrir le campus imaginé par Google. Jovial et volubile, maniant l’humour et l’ironie tout au long de l’interview, il se montre pourtant d’abord sur ses gardes.

Il tient à nous expliquer le choix de son pseudonyme. Une revendication politique d’abord, propre au milieu hacker, celle d’un «anonymous speech comme free speech», une expression anonyme garante de liberté. «Nos adversaires se nourrissent d’identités, nous, nous jouons avec cette idée en ajoutant de la confusion à la notion même d’identité». Un besoin d’horizontalité, ensuite: le mouvement Fuck Off Google dont il a été l’une des voix étant un mouvement collectif, Pageblank ne souhaitait pas être présenté comme leader ou chef de file.

Ancrage local, portée globale

Larry Pageblank entre un peu par hasard dans la fronde anti-Google berlinoise. En octobre 2017, il assiste à une première réunion publique, puis participe aux anti-Google cafés tenus à kalabal!k, la librairie anarchiste du quartier qui se trouve juste derrière l’Umspannwerk et qui deviendra le Q.G. des opposantes et des opposants. Il est surpris par «la grande culture politique», dont la matrice intellectuelle se réfère «à Adorno ou Walter Benjamin», mais aussi par une importante expérience du terrain et des luttes locales.

Ça ne vous rappelle rien? | FuckOffGoogle.de

Pas si étonnant pour un quartier comme Kreuzberg qui a une longue histoire militante derrière lui et jouit, aujourd’hui encore, de l'aura que lui confère son positionnement alternatif. «Avec la bande des plus “nerdy”», il décide d’apporter sa pierre à l’édifice en créant «un volet online de la contestation, qui parle de Google au sens large plutôt que de se limiter au campus». De là naît le site FuckoffGoogle.de assorti d’un wiki.fuckoffgoogle.de qui regroupe articles et documentation. Il en existe une version anglaise, une manière de toucher un plus large public et de répondre à l’objectif: «ancrage local, portée globale».

Silicon Allee

À Berlin, c’est tout une communauté qui se met alors au diapason anti-Google. Loin d’être les seuls dans la lutte, Fuck Off Google a pu compter sur le soutien des associations GloReiche, Lause Bleibt et Bizim Kiez, toutes vent debout pour préserver l’identité de leur quartier. Un combat qui fédère facilement: à Berlin, la gentrification est un sujet récurrent dans la presse locale et les dîners entre amis. L’arrivée massive de startups, qui vaut d’ores et déjà à la ville le surnom de «Silicon Allee», ne semble pas devoir inverser la tendance. Rien qu’à Kreuzberg ont ouvert en 2018 les nouveaux locaux de l’entreprise de ventes de chaussures et de vêtements en ligne Zalando et l’espace de coworking et incubateur de startups Factory –financé, en partie, par Google.

Une spéculation sur le cool, sur la côte, qui joue sur la perception pour transformer ce cool en or.
Larry Pageblank, cyber-activiste berlinois.

Pour certaines et certains, il s’agit d’une bonne nouvelle économique mais, pour beaucoup, cette «siliconisation» de Berlin est loin de susciter l’enthousiasme des habitantes et des habitants, qui craignent une intensification de la gentrification déjà phénoménale. Pour Larry Pageblank, elle n’est pourtant qu’une partie du problème: il faudrait plutôt, selon lui, «connecter la gentrification au projet tentaculaire de la firme américaine». «Google, ce sont les ordinateurs, les voitures sur le point de se conduire toutes seules, la génétique, l’énergie, les routes. C’est le pouvoir de toucher à tous les aspects de notre vie. Mais quand on décompose ce pouvoir, Google, c’est la surveillance de masse, l’évasion fiscale, l’exploitation et la censure en Chine: un cocktail mortifère.»

Il ne voit donc pas d’un très bon œil l’arrivée du géant du web dans sa ville, échaudé entre autres par le projet de Smart-City de Toronto développé par Sidewalks Labs, une filière d’Alphabet (le groupe propriétaire de Google), qui devrait voir la construction d’un quartier technologique sur les berges du lac Ontario. «Un enjeu d’image» pour la ville, et une bonne récolte pour Google, «qui pourra faire main basse sur nos data».

À Berlin le choix de Kreuzberg relève, d’après lui, «d’une spéculation sur le cool, sur la côte, qui joue sur la perception pour transformer ce cool en or»: en sélectionnant un quartier «habituellement peuplé de gens créatifs, à haute éducation», Google exploite ainsi «les jeunes créatifs au sens quasi minier et à l’instar d’un vampire» et pratique «l’extraction des talents».

Ne pas se tromper d’ennemi

La presse berlinoise a souvent ironisé sur le profil d’une partie des opposants: de jeunes hipsters, pourfendeurs d’une gentrification dont ils sont eux-mêmes les artisans. Cette critique agace Larry Pageblank: «C’est un discours qui voudrait ancrer la gentrification dans les actes individuels des nouveaux arrivants, qui ont plus d’argent que les locaux, alors que la gentrification, c’est d’abord un mouvement interne à une ville où des jeunes s’installent dans un quartier pauvre voire inintéressant et finissent par faire remonter sa côte culturelle et politique, jusqu’à ce qu’enfin des expats ou des investisseurs flairent le bon coup et qu’on assiste à une vague de spéculation.»

«Le poids des mots, le choc des images»: ici, un drone Predator, pour souligner les liens entretenus entre Google et le Pentagone. | FuckOffGoogle.de

«Celui qui vient acheter des cafés latte un peu plus cher, manger bio ou aime les bars branchés va peut-être changer la couleur, le visage et un peu les équilibres d’un quartier, mais ce n’est pas lui qui va finir de le ruiner. C’est loin d’être le même ordre de magnitude.»

«Et puis, le fait que ceux qui ont peut-être contribué à changer la face du quartier s’en rendent compte et veulent participer pour ne pas risquer de le voir basculer dans une phase spéculative de gentrification, n’est-il pas une bonne chose? Voir ceux qui sont plus aisés avec un peu plus de temps et peut-être aussi un peu plus de ressources faire des alliances avec une population plus vulnérable ou menacée d’expulsion, n’est-ce pas un modèle à suivre?»

Une lutte joyeuse et informelle

C’est du moins ce qui s’est passé à Kreuzberg où une partie du voisinage s’est mobilisée contre Google. Cette communauté hétéroclite et diverse aurait pu laisser présager la cacophonie ou l’inertie, mais d’après Larry Pageblank, la lutte «joyeuse et informelle s’est d’abord basée sur les affinités des uns et des autres». Lors des réunions à kalabal!k, «tout le monde s’assied, on se fait un café et la conversation commence d’elle-même. Pas d’ordre du jour, pas de dix-huitième internationale, pas de charte ou de clip de campagne».

Cette solidarité témoigne d’après lui «d’une vivacité et d’une force politique» qui se nouent au détour d’un coin de rue ou d’un dimanche ensoleillé. «J’ai eu des rencontres stratégiques de haut niveau, complètement imprévues, alors que quelqu’un passait sur une bicyclette avec ses poireaux sur le dos, en revenant du marché.» Le quartier avait alors pris des allures de camp retranché: armada d’affiches, de stickers et graffitis sur les murs avec les messages: «Google n’est pas un bon voisin», «Google go home», «Destroy Google». L’Umspannwerk sera attaquée à la peinture. Plusieurs manifestations «noise demo» sont organisées à grand renfort de tambours improvisés et de bidons de lessive, avec pour mot d’ordre «Faites du bruit contre Google!».

NanoDavid contre BetaGoliath: «First, Kreuzberg, then the world!»

Google, par la voix de son responsable Rowan Barnett, a d’abord tenté de rassurer les habitantes et les habitants en déclarant «comprendre leurs inquiétudes». Mais les participants à Fuck Off Google ont toujours refusé, «d’un commun accord», les invitations: face au risque de servir la communication publique du géant américain, l’idée de passer «pour une bande d’excités qui n’ont rien compris et refusent les invitations» semblait encore préférable.

Devant l'Umspannwerk, convoité par Google avant que la firme jette l'éponge, le message semble suffisamment clair pour se passer de traduction. | FuckOffGoogle.fr

En octobre dernier, face à l’ampleur de la protestation, Google finit par jeter l’éponge. Point de campus berlinois mais, à la place, l’entreprise sous-louera les locaux de l’Umspannwerk à Betterplace et Karuna, deux associations caritatives, pour créer une «Haus für soziales Engagement» («Maison de l'engagement social»). Depuis, le géant du web s’est vu proposer à Lichtenberg l’ancien QG... de la Stasi!

Chez Fuck Off Google, si on reconnaît une victoire «symbolique» et la preuve que «NanoDavid» peut défaire le «BetaGoliath», on dénonce une opération de social washing: Betterplace (plateforme de donations subventionnant des projets «sociaux» et Karuna (lutte contre la pauvreté et aide aux SDF) seraient «au mieux des idiots utiles, au pire, ils font partie du problème». Quant à Larry Pageblank, qui affirme être en contact avec des gens de Toronto, il espère voir Berlin devenir l’épicentre de l’opposition à Google. «Comme on avait l’habitude de dire sur le ton de la blague: First Kreuzberg, then the world!».

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