Au cinéma, les couleurs sont l'une des meilleures manières de suggérer une émotion ou d'établir une ambiance. Pixar raffole de ce procédé. Dans Vice-Versa, chaque émotion est représentée par un personnage de nuance différente: le rouge pour la colère, le bleu pour la tristesse, etc. Dans Toy Story, les jouets passent de la chambre d'Andy, tout en tons clairs bleus et blancs à celle de Sid, noire, rouge et mal éclairée.
L'avantage que Pixar et les autres studios d'animations ont sur le cinéma en prises de vues réelles tient aux couleurs et à l'éclairage qui sont modifiables à l'envi et a posteriori, sans avoir à se soucier des lois de la physique. Seulement, à mesure que l'animation progresse, avec des milliers d'objets 3D animés et éclairés individuellement, la tâche s'avère de plus en plus complexe.
Lorsque Miguel, le héros de Coco, se rend dans le monde des morts, l'environnement est illuminé de toutes les couleurs possibles. Il est donc nécéssaire de faire contraster une palette très large de tons avec de fortes variations de luminosité.
Salle de projection futuriste
Pour réussir ces fines prouesses, explique le journaliste Adam Rogers dans un extrait de son livre Full Spectrum publié par Wired, le studio d'animation dispose d'une salle de projection très spéciale, dotée d'un projecteur fait sur-mesure.
Les projecteurs Dolby Cinema des salles grand public les mieux équipées disposent d'une paire d'objectifs projetant chacun trois rayons lumineux bleu, rouge et vert. Le projecteur de Pixar projette quant à lui six rayons de six couleurs primaires depuis une seule et unique source. Il dispose en outre d'une impressionnante gamme dynamique (le rapport entre le sombre le plus profond et la lumière la plus éclatante) dix fois plus élevée que celle d'un cinéma classique.
Cette technologie permet de modifier très subtilement l'éclairage et les teintes des décors en 3D. Mais les cinémas classiques ne sont aujourd'hui pas encore en mesure de rendre fidèlement les couleurs telles qu'elles apparaissent dans cette salle de projection expérimentale.
Selon Poppy Crum, une neurologue employée par Dolby, une fois que ce type de technologie sera adoptée par le grand public, la puissance de ces couleurs provoquera des réactions psychologiques qui «augmenteront l'expérience émotionnelle entière du cinéma». Des images d'incendies pourront par exemple provoquer automatiquement une sensation de chaleur chez le spectateur.
Attention toutefois aux effets d'annonce. IMAX, Dolby Atmos, 4DX, HFR, Light Vibes: ce ne serait pas la première fois que les cinémas et studios tentent de vendre une technologie révolutionnaire qui ne bouleverse pas l'industrie à la hauteur de leurs promesses –exception faite du prix des tickets d'entrée.
Le projet ne s'arrête pas là, renchérit Crum. L'intensité des couleurs permettrait, selon elle, de jouer sur la rémanence et de créer, à l'envi, des illusions d'optiques et des tons jamais vus auparavant. Et que l'on ne pourra expérimenter nulle part ailleurs.
Avec les bonnes méthodes, exposer l'œil à ces couleurs permettrait, après leur disparition, de continuer à faire percevoir au spectateur une image que le projecteur n'a pas générée: ce sont les arcanes neurologiques propres à chaque individu qui seront à l'origine de ce spectacle mental, intime et unique.