Prises de température régulières, bracelets qui vibrent quand les employé·es sont trop proches les un·es des autres et même caméras thermiques, les entreprises ont redoublé d'ingéniosité pour trouver des moyens d'adapter les lieux de travail aux consignes de distanciation sociale et de prévention de la contagion.
Le problème de ces techniques est que, pour sophistiquées qu'elles soient, aucune ne peut garantir l'absence de virus. Des spécialistes de la santé publique estiment même qu'elles pourraient avoir un effet pervers, en créant une illusion de sécurité et un relâchement de la prudence.
La prise de température, qui se démocratise un peu partout, ignore par exemple les personnes contaminées mais asymptomatiques, qui peuvent être contagieuses. Or celles-ci représenteraient environ un quart des cas.
Avant l'arrivée d'un vaccin, la reprise d'une vie presque normale sera peut-être conditionnée à des tests sérologiques qui, par la recherche d'anticorps, déterminent si une personne est a priori immunisée contre le coronavirus.
Cette méthode ne va pas non plus sans risque. L'immunité n'est pas encore formellement confirmée par la science, et certains tests sont encore très imprécis.
Une partie de la main-d'œuvre pourrait en outre être empêchée de retourner au travail, ou du moins dans de bonnes conditions, parce qu'elle n'aura pas développé d'immunité.
«Les personnes qui ne pourront pas travailler à cause de leur non-immunisation diront que c'est injuste, avertit dans le New York Times Hank Greely, un professeur de Stanford spécialiste des implications sociales de la médecine. Et elles auront raison».
Santé sous surveillance
Les diverses stratégies adoptées soulèvent également la question des informations accessibles aux employeurs. Les nécessités du traçage et des évaluations de santé forcent les salarié·es à fournir des données privées normalement protégées à leur entreprise.
Celle-ci ne sera pas forcément la seule à avoir accès à ces informations hautement sensibles. Des entreprises tierces proposent des solutions de surveillance clé en main et se retrouvent à manipuler les données des employé·es, qui perdent un peu plus le contrôle sur leur vie privée.
Face à la crise sanitaire, les entreprises ont été enjointes de trouver des solutions dans l'urgence, mais sans forcément disposer de consignes claires. Les systèmes mis en place ne sont pour l'instant pas inspectés, et des situations hautement problématiques risquent d'apparaître, voire de perdurer après la pandémie.
Le contexte actuel exige bien sûr ces adaptations, mais le réel défi consistera à gérer l'après-épidémie. «Nous acceptons des empiètements sur la vie privée que nous refuserions d'habitude, note un membre de l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), mais nous devons être vigilants à ce qu'ils ne durent pas plus longtemps que la crise.»