Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, l'économie chinoise est considérablement ralentie. Une très mauvaise nouvelle pour l'industrie pétrolière, pour laquelle la Chine et son industrie florissante est une cliente indispensable.
Afin de pallier la crise, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie se sont rassemblées jeudi 5 mars pour s'accorder sur une baisse de la production d'un million et demi de barils par jour, afin de faire remonter les prix.
Seulement, les négociations ont échoué et la Russie a refusé de diminuer autant sa production. En riposte, l'Arabie saoudite a décidé de défier la Russie et de faire exactement l'inverse de ce qui était prévu –le royaume a considérablement diminué ses prix, tout en augmentant son offre.
C'est cette guerre des prix qui a causé la chute brutale des cours du pétrole ce lundi 9 mars. Les marchés financiers de toute la planète, déjà inquiets des effets de l'épidémie de Covid-19, ont tous plongés les uns après les autres.
Le calcul de l'Arabie saoudite est le suivant: grâce à ses coûts d'extraction très bas, elle pourra soutenir la situation plus longtemps que la Russie. Ce bras de fer avec Vladimir Poutine est surtout une preuve que Mohammed ben Salmane, prince héritier et leader de facto de l'Arabie saoudite, ne s'est pas calmé. Bien au contraire.
Goût du risque et impulsivité
Le trentenaire, souvent surnommé MBS, a une réputation de leader impulsif, qui aime prendre des risques et passer en force. Outre la guerre sanglante qu'il mène au Yémen, MBS a par exemple réuni en l'espace de trois mois des centaines de milliardaires, généraux, princes ou anciens ministres accusés de corruption pour les enfermer dans le Ritz-Carlton de Riyad.
La majorité d'entre eux en sont sortis, après avoir conclu un accord avec les autorités. Bilan des courses: 88 milliards d'euros récoltés. La même année, MBS a pris en otage Saad Hariri, le Premier ministre libanais, afin de le forcer à annoncer sa démission. Il serait aussi personnellement impliqué dans le piratage du téléphone de Jeff Bezos en 2018.
Ces méthodes ont atteint leur paroxysme, du moins de ce que les médias en savent, lors de l'assassinat en octobre 2018 de Jamal Khashoggi, un journaliste dissident: la CIA assure que le meurtre a été commandité par ben Salmane.
Après cet événement, le prince héritier a fait profil bas quelque temps, amenant certains à se demander si MBS avait mûri et si les coups d'éclat et prises de risques inconsidérées étaient derrière lui. D'autres ont pensé qu'il était désormais trop isolé pour pouvoir se le permettre.
En 2019, MBS a en effet refusé l'escalade militaire après une attaque sans précédent contre ses installations pétrolières, imputée par les États-Unis à l'Iran, ennemi juré de l'Arabie saoudite.
Guess who's back?
Seulement, en défiant la Russie, et ce au risque de mettre les marchés financiers au tapis, MBS semble en avoir fini avec la discrétion. Quelques jours avant cette offensive, ben Salmane a fait enfermer quatre princes importants, considérés comme critiques envers lui.
Certains observateurs estiment que ce timing n'est pas un hasard, et que MBS consolide ses appuis avant dans se lancer dans une stratégie aussi risquée que celle enclenchée lundi et, surtout, avant son couronnement en tant que roi.
Après le meurtre de Khashoggi, le prince s'est certes retrouvé isolé, mais il a aussi pu constater que l'Arabie soudite était un allié trop précieux pour les Occidentaux pour qu'ils la laissent réellement tomber.
Toutefois, rien n'assure qu'arroser le marché de pétrole à bas prix soit une stratégie payante pour l'Arabie saoudite. La Russie peut équilibrer son budget avec des barils moins chers que ceux nécessaires à la pétromonarchie, pour le même résultat.
Le pétrole saoudien est certe bon marché, mais l'économie russe est bien plus diversifiée. L'issue du bras de fer entre les deux puissances est donc loin d'être déterminée, et la stratégie incendiaire de MBS pourrait bien se retourner contre lui –causant au passage d'incalculables dommages collatéraux.