Chez Receptiviti, on pense avoir la solution. En remplacement des habituels questionnaires envoyés aux employé·es, l'entreprise créatrice d'applications d'intelligence artificielle (IA), basée à Toronto, propose d'analyser leur manière de communiquer. Mails, messagerie pro, conversations avec les collègues et les supérieur·es, chaque élément de langage est passé au peigne fin de la technologie afin de déterminer des schémas récurrents traduisant le bien-être ou le mal-être de l'employé·e.
Un décryptage minutieux des «signifiants»
Receptiviti ne se focalise pas uniquement sur les mots traduisant un sentiment («je suis frustré, fatigué», etc.), mais s'intéresse à tous les segments d'une phrase, prépositions et pronoms en tête. En 2013, l'un de ses cofondateurs, James W. Pennebaker, psychologue de formation, expliquait dans un TEDx talk, comment il était parvenu à cette méthode: «Moins de la moitié des mots que nous utilisons sont porteurs de sens. Ainsi, dans la phrase: “Je suis très frustré”, c'est uniquement le dernier mot qui permet de comprendre l'objet du message».
Mais, d'après Pennebaker, le reste du discours, plus subtil, n'en reste pas moins révélateur. Les personnes malheureuses ont ainsi tendance à utiliser de manière répétée les pronoms personnels «je» ou «moi», tandis que les mots faisant référence à une tierce personne («lui», «elle») sont nettement moins employés. Ces mêmes individus sont également plus disposés à parler du présent que du futur. Le psychologue va plus loin en expliquant que, pour une grande majorité de personnes, ces éléments de langages sont utilisés inconsciemment, d'où l'intérêt de les repérer le plus tôt possible.
Une démarche basée sur le volontariat
Si cette théorie n'est pas nouvelle, son application managériale n'a pas manqué de susciter quelques craintes légitimes. La comparaison a beau être rabâchée, la méthode n'est pas sans rappeler le Big Brother orwellien. Carolyn Axtell maîtresse de conférences en psychologie du travail à l'université de Sheffield en Grande-Bretagne, s'est inquiétée dans les colonnes de The Conversation de l'utilisation de la big data sur le lieu de travail et appelle à plus de clarté pour s'assurer que les employé·es soient tenu·es au courant.
Mais Jonathan Kreindler, directeur et cofondateur de Receptiviti, se veut rassurant: son entreprise n'analyse pas les résultats par individu, mais s'intéresse aux équipes et aux groupes. Par exemple, elle peut offrir un baromètre intéressant quant à l'inclusion des femmes ou classifier le bien-être des employé·es en fonction de leur ancienneté. De plus, pour utiliser la méthode, l'accord des personnes qui travaillent au sein de l'entreprise est obligatoire.
Des solutions d'avenir pour le management
Alors que les géants de la Silicon Valley sont en proie à de nombreuses crises internes (plainte pour harcèlement sexuel, cadences harassantes, culte de la performance), le management se tourne vers de nouvelles solutions. Ainsi, cette année, est sorti Isaak, un outil de traçabilité permettant de repérer les risques de burn-out, conçu par l'entreprise StatusToday et fonctionnant sur le même modèle que Receptiviti.
Ces méthodes promettant de repérer le mal-être au travail semblent promis à un bel avenir. C'est du moins l'avis de Jonathan Kreindler: «Que vous soyez une entreprise du secteur technologique qui n'existe que depuis cinq ans ou une grosse banque qui a plus d'un siècle d'existence, voici les problématiques auxquelles vous devez répondre aujourd'hui. Comprendre comment le mal-être se manifeste permet d'y répondre le plus efficacement et le plus rapidement possible.»