Par définition plutôt nouvelle, la question du rapport entre le monde des vivants et celui, numérique, où nos cher·es disparu·es ont évolué durant des années se pose de manière de plus en plus sensible. Ce n'est pourtant qu'un début et il faudra apprendre à vivre avec ces fantômes numérisés, ces profils abandonnés, ces sépultures par écrans interposés.
Car la démographie est formelle, et somme toute assez logique: selon une étude de l'Oxford Internet Institute, le nombre de profils Facebook de personnes décédées pourrait dépasser celui des individus vivants d'ici 2050. «Notre analyse montre qu'un minimum d'1,4 milliard de personnes décéderont avant 2100 si l'on considère que Facebook a arrêté d'attirer de nouveaux utilisateurs et utilisatrices en 2018. Si en revanche le réseau continue de croître au rythme actuel, ce chiffre dépassera les 4,9 milliards de personnes.»
Un cimetière et de l'histoire
Une telle somme de données fait largement déborder de la sphère intime le thème de la relation des survivant·es aux traces numériques de leurs proches partis plus tôt. Les deux auteurs de l'étude, Carl J. Öhman et David Watson, s'interrogent sur la préservation des profils de ces personnes décédées, et expliquent «qu'une approche exclusivement commerciale de la conservation des données pose d'importants problèmes éthiques et politiques qu'il est urgent d'étudier».
Qui, en effet, possédera ces données? Quel accès les familles peuvent-elles avoir? Quel archivage est-il prévu pour les historien·nes du futur? Celui-ci doit-il être intégralement confié à Facebook, acteur privé, ou doit-il faire l'objet d'une législation particulière? «Jamais dans l'histoire n'a auparavant existé une telle archive des comportements et de la culture humaine, réunie en un seul endroit», constate David Watson auprès du Times of India.
«Il est donc important que nous nous assurions que l'accès à ces données historiques ne soit pas réservé à une entreprise unique dont l'objectif est le profit», poursuit-il, invitant la plateforme à réunir historien·nes, archivistes, éthicien·nes et archéologues à réfléchir à une solution durable pour la gestion de cette part massive de savoir humain.