En 2016, lors de l'élection présidentielle américaine, une campagne mouvementée a donné lieu à une prise de conscience collective de l'influence qu'ont les réseaux sociaux sur la propagation de fausses informations et sur les tentatives de manipulation de l'opinion.
Au cœur de la tourmente se trouvait Facebook, un réseau social fréquenté quotidiennement par plus d'un milliard et demi d'internautes, et qui dispose d'une grande autonomie quant à la modération de son contenu.
Les mises en accusation ont culminé lors du scandale Cambridge Analytica, lorsqu'un ancien salarié de cette firme de marketing politique a révélé que la campagne de 2016, ainsi que celle du Brexit, avaient été influencées par son ex-employeur, en utilisant des données personnelles aspirées sur Facebook.
Depuis ce scandale majeur, Mark Zuckerberg semble être en opération de damage control permanent. Convoqué au Sénat américain puis à la Commission européenne pour s'expliquer, le PDG a tenté par tous les moyens de faire amende honorable.
Une tâche qui s'annonce ardue, tant l'accumulation des scandales ont fini par convaincre le plus grand nombre que Facebook était devenue une plateforme trop puissante pour être régulée correctement. La candidate à la primaire démocrate Elizabeth Warren affirme dans son programme vouloir casser Facebook en plusieurs morceaux.
Dans des enregistrements dévoilés par The Verge, Zuckerberg a estimé que le programme de Warren était une «menace existentielle» et qu'il «monterait sur le ring» pour défendre sa création.
Campagne 2020
Avec l'accélération de la campagne présidentielle de 2020, le sujet est naturellement revenu au centre du débat. Début octobre, une publicité mensongère concernant Joe Biden a commencé à être diffusée par les équipes de Donald Trump.
Malgré les demandes de l'équipe de campagne de Biden, Facebook, tout comme YouTube, Twitter et certaines chaînes de télévision, ont refusé de suspendre la diffusion la publicité en question, invoquant «la liberté d'expression [et] le respect du processus démocratique».
Elizabeth Warren s'est emparée de la polémique et a, à son tour, diffusé une publicité affirmant que Mark Zuckerberg soutenait officiellement la réélection de Donald Trump –ce qui est faux–, afin de prouver que Facebook propage des fakes news délibérément.
Pour mettre les choses au clair, Zuckerberg a donc décidé de tenir une conférence sur le sujet le jeudi 17 octobre. Selon lui, toute tentative de censure serait encore plus grave que la propagation de mensonges. Les personnalités politiques disposent d'un traitement de faveur sur le réseau social, au nom de la liberté d'expression et du sacro-saint premier amendement de la Constitution américaine.
Concrètement, cela signifie que Facebook refusera de fact-checker les publicités politiques et continuera de les diffuser en ligne, même s'il s'avère qu'elles contiennent de fausses affirmations. L'occasion est aussi une manière de prévenir que le réseau social se lavera les mains des conséquences que pourront avoir les mensonges postés sur sa plateforme.
Elizabeth Warren a réagi à ce discours en tweetant qu'après avoir aidé Trump à se faire élire une première fois, «Facebook l'aide activement à propager des mensonges et de la désinformation. […] Et en tire profit».
Mark Zuckerberg's speech today shows how little he learned from 2016, and how unprepared Facebook is to handle the 2020 election. https://t.co/2JHCuihexR
— Elizabeth Warren (@ewarren) October 18, 2019
Le porte-parole de Joe Biden a déploré «le peu que Facebook à appris ces dernières années» et la fille de Martin Luther King, prise en exemple par Zuckerberg pour illustrer les dangers de la censure, a affirmé sur Twitter que ce sont d'abord les campagnes de désinformation dirigées contre son père qui ont contribué à son assassinat.
Virage politique
Au-delà de cette question du premier amendement, et à contre-pied de la neutralité qu'il met en avant, cette prise de parole publique pourrait être le signal que Zuckerberg prend, d'une manière détournée, position pour un camp plutôt que pour un autre.
La semaine dernière, le magazine en ligne Politico révélait que le PDG avait, depuis le mois de juin, discrètement accumulé discussions et dîners dans ses villas californiennes avec des journalistes, idéologues et hommes politiques conservateurs.
Le concept de liberté d'expression n'appartient pas de manière inhérente au camp conservateur, mais cela fait longtemps que des personnalités de droite et d'extrême droite affirment que les réseaux sociaux se rendent coupables d'«anti-conservative bias» –ils discrimineraient et censureraient les discours de droite.
Zuckerberg a d'ailleurs été cuisiné par des sénateurs républicains à ce sujet, et Politico affirmait en août que la Maison-Blanche préparait une loi censée sévir contre ces abus.
Certaines des personnalités reçues par Zuckerberg, comme Ben Shapiro, Tucker Carlson ou Lindsey Graham ont fait de ce supposé biais l'un de leurs chevaux de bataille. Logiquement, la majorité des partcipant·es aux rencontres dont Politico s'est fait l'écho ont salué le discours de jeudi.