C'est le phénomène à la mode pour de nombreux déjeuners à emporter: le fast-casual ou fast-good, tout le monde adore. A priori cette nouvelle forme de restauration rapide qui fleurit depuis une dizaine d'années a pourtant de très bons arguments: les plats ou les formules correspondent à la valeur exacte des tickets restaurant et la qualité des mets préparés est meilleure qu'au kebab du coin.
C’est donc ravi·es que l’on emporte chaque midi notre petit risotto aux truffes du jour. En apparence, rien d'affolant –on va même jusqu'à qualifier les enseignes de fast-casual «les héros de l'anti-malbouffe».
Et pourtant: avec nos burgers gourmets, nos poké bowls ou nos bentos colorés, on engrange chaque jour une quantité de déchets démesurée en ruinant par la même occasion la vie de quartier.
Un menu à 12 euros, 3 kilos de plastique
«Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde», déclarait Albert Camus dans son discours de réception du prix Nobel de littérature en 1957. Le combat de la nôtre est celui de l'écologie; avec, comme cheval de bataille, les pailles en plastique. Le Royaume-Uni avait même annoncé l'année dernière qu'il comptait les supprimer d'ici fin 2018 (on attend toujours). Quant à la France, la majorité a aussi reculé à 2021 le projet de loi Pacte pour les entreprises, dont un amendement vise à interdire l'usage des couverts en plastique –une mesure que les responsables politiques ne semblent pas prêt·es à assumer.
Le #PactePlastiques est un accord inédit entre le @gouvernementFR, des ONG et de grandes enseignes, pour réduire la consommation de plastique, favoriser son recyclage et son réemploi.
— Brune Poirson (@brunepoirson) 25 février 2019
Retour en images sur la signature du pacte, au @Min_Ecologie ! pic.twitter.com/q0RqFxP3av
Il donc est étonnant de voir combien une paille, une touillette ou un sac en plastique distribué dans une grande enseigne nous révolte alors que nous continuons à gaspiller quantité de plastique chaque midi avec la nourriture jetable souvent estampillée «bio»: couverts, contenants, emballages de sauces individuels, etc.
Les 18-34 ans principalement CSP+ représentent la moitié des visites dans les fast-casual.
Le fast-casual est devenu une pratique quotidienne –il suffit de marcher à 13 heures dans le IIe arrondissement de Paris pour s'en rendre compte. Une armée de jeunes cadres sillonnent les rues, leur sac (en papier, sinon on crierait au scandale) rempli de petites boîtes et autres emballages en plastique à la main.
Un paradoxe ambulant: c'est la classe jeune, citadine, relativement aisée financièrement et sensible à l'écologie qui est la plus fervente adepte des fast-goods. «Le profil classique du fan de fast-casual est un consommateur relativement jeune puisque les 18-34 ans principalement CSP+ représentent la moitié des visites», note une étude NPD Group réalisée en France en 2014. Comment ne pas voir une contradiction entre mettre le papier dans la poubelle jaune le soir et utiliser des couverts en plastique le midi?
La clientèle n'est pas l'unique responsable de cette consommation à outrance: ce secteur de la restauration manque cruellement d'incitation. Sans aller jusqu'à l'idée suisse de taxer les enseignes de vente à emporter qui génèrent trop de déchets, un contenant réutilisable serait déjà un vrai progrès.
Les écocup, ces gobelets réutilisables et personnalisés sont désormais démocratisés en festival. Suffirait-il de renommer le tupperware, qui manque singulièrement de glamour, en «éco-plate» pour en voir l'usage enfin introduit dans nos pratiques?
Ce week-end c’est @WeLoveGreen ! On retweet vos photos de gobelets ! #welovegreenecocup #ecocup #welovegreen https://t.co/R3M437EWga
— ECOCUP (@ecocupdrink) 2 juin 2019
Jeter le lien social avec les déchets
L'importation du fast-casual depuis les pays anglo-saxons pose un vrai problème social. En France, l'équivalent du take-away était, traditionnellement, le plat du jour au comptoir.
Or, l'habitude du comptoir façonne la vie des quartiers dans les villes françaises en créant et maintenant un lien social entre des profils variés, venus de corporations différentes pour s'accouder ou commander un jambon-beurre. Le comptoir a longtemps tenu le rôle d'îlot au milieu d'un océan de solitudes urbaines. Au coude-à-coude avec des individus qui ne nous ressemblent pas, le lieu est propice à l'échange comme au partage.
Dans Signification affective d'un quartier, Kaj Noschis définit le quartier comme «un environnement physique, support des liens affectifs qui se nouent entre les habitants». La vie qui s'y déroule passe essentiellement par ses échanges, sans lesquels le quartier meurt.
Les enseignes de fast-casual sont hyperactives chaque midi de la semaine, beaucoup moins le soir et les week-ends. Elles favorisent la vente à emporter en étant conçues spécifiquement pour le take-away: manque d'espace offert à la clientèle, priorité aux vente rapides, organisation des poste prévus à cet effet. Des caractéristiques qui participent grandement à casser le lien social dans ces quartiers quand elles ne modifient pas la vie de quartier toute entière.
Repenser le fast-good pour le rendre plus durable sur un plan écologique et social serait bénéfique pour tout le monde–et pas uniquement aux jeunes dynamiques qui l'utilisent chaque midi.