Cette femme ne sait peut-être pas que sa présence à un meeting de Donald Trump peut constituer une donnée problématique. | Don Emmert / AFP
Cette femme ne sait peut-être pas que sa présence à un meeting de Donald Trump peut constituer une donnée problématique. | Don Emmert / AFP

Big Brother is geolocating you

Une vaste enquête du New York Times révèle à quel point les populations sont traquées, où qu'elles soient et qui qu'elles soient –y compris au plus haut sommet de l'État.

Des journalistes du New York Times ont eu accès aux données de géolocalisation de plus de 12 millions d'Américain·es. Les informations recueillies leur ont permis d'établir l'identité et les trajets de plusieurs centaines de personnes, dont certaines travaillent au sommet de l'État. Des observations les conduisant à estimer que la sécurité nationale était en danger.

En étudiant une période de plusieurs mois courant de 2016 à 2017, les journalistes ont pu d'emblée tirer un premier constat: personne n'est épargné par la géolocalisation, du gratin d'Hollywood au staff de la Maison-Blanche en passant par monsieur et madame Tout-le-monde.

Parmi les va-et-vient observés, ceux de nombre d'agent·es des services secrets se sont révélés particulièrement inquiétants. Dans l'entourage même du président, les journalistes ont été en mesure de déterminer l'identité d'un individu en se basant uniquement sur ses déplacements. Une approche inédite que les services secrets se sont pour l'instant abstenus de commenter.

Une menace pour la sécurité intérieure

Cette vulnérabilité touche tous les hauts lieux du pouvoir. Elle concerne aussi bien les militaires, les agent·es de police que les avocat·es et les juges de la Cour suprême.

Les risques qui en découlent sont nombreux: chantage, campagnes électorales compromises mais aussi intrusion de puissances étrangères, notamment russes, chinoises ou nord-coréennes.

Grâce aux données de géolocalisation, il est possible de créer une carte large et précise du réseau social d'un individu, ce qui auparavant, dans le cadre d'un espionnage traditionnel, était difficile voire quasiment impossible.

De cette manière, les journalistes du New York Times ont identifié avec certitude un agent du Pentagone qui se rendait en fin de semaine dans un centre pour toxicomanes. À l'évidence, l'utilisation malveillante de ce genre d'informations sensibles peut facilement mettre en péril un mariage ou une carrière professionnelle, donc constituer un moyen de pression phénoménal pour une puissance hostile.

La sécurité nationale est par ailleurs compromise par l'absence de règles cohérentes. Si, par exemple, la géolocalisation n'est pas autorisée au quartier général de la CIA, elle l'est sur son parking. Il est ainsi aisé de suivre le trajet de n'importe quel·le employé·e une fois sa journée de travail terminée. Des sites comme le Pentagone, le siège du FBI ou les bureaux des services secrets seraient également concernés par ce laxisme sécuritaire.

Personne n'y échappe!

Nul besoin d'être un·e agent·e secrèt·e pour redouter cette nouvelle forme de surveillance. Avec ces données, il devient très facile de repérer et d'identifier les participant·es à une manifestation.

Autre cas de figure, plus amusant peut-être, qui permet de battre en brèche le fameux argument du «je n'ai rien à cacher»: les journalistes ont pu suivre le trajet d'un ingénieur de Microsoft se rendant un mardi après-midi chez le concurrent Amazon.

Un mois plus tard, ses informations de géolocalisation ne le situant plus que sur le campus de ce dernier, les journalistes en ont conclu qu'il avait démissionné de chez Microsoft... Doit-on craindre dans le futur la surveillance ciblée des salarié·es?

Autre point que le New York Times a tenu à souligner: indépendamment de Google Maps ou Facebook, la grande majorité des données de géolocalisation sont collectées par de petites entreprises, souvent méconnues du grand public. Des centaines d'applications pour smartphones permettant de géocaliser une personne ont ainsi vu le jour et se retrouvent dans la poche de millions d'Américain·es, à leur insu.

Vers une meilleure réglementation?

Jugeant les mesures actuelles insuffisantes, les journalistes en appellent au Congrès américain pour qu'une réglementation digne de ce nom puisse voir le jour.

Pour justifier cette incursion du secteur privé dans nos vies quotidiennes, les entreprises mettent souvent en avant l'argument de l'anonymisation des données. «C'est complètement faux», rétorque Paul Ohm, professeur de droit à l'Université de Georgetown qui estime que «la seule chose probablement plus compliquée à anonymiser que ces informations de géolocalisation est notre ADN».

Selon le New York Times, nous vivrions «dans le système de surveillance le plus performant au monde». Si ce système n'a pas été créé délibérément à des fins de surveillance mais avec des buts financiers et de profit, il n'en reste pas moins que nous sommes aujourd'hui si habitué·es à être pisté·es que nous ne nous en rendons même plus compte.

Loin de rejeter la faute sur le consommateur ou la consommatrice, les journalistes dénoncent un secteur privé qui a fait de l'opacité sa marque de fabrique. Une situation à laquelle on peut espérer remédier grâce à une prise de conscience croissante sur la question des données personnelles.

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