Ah, Baby Yoda... Cette mignoncité, ces mèmes. Le bébé trouvé dans le premier épisode de The Mandalorian a déjà envahi vos timelines Instagram et Twitter. Pourtant, officiellement en France, personne n'a encore eu accès à la série dont il est issu. Disney+, qui la diffuse, ne sera disponible chez nous que fin mars.
Certes, il est possible après bien des prises de tête et contre paiement d'un abonnement de regarder The Mandalorian. Pas sûr en revanche que toutes celles et ceux qui ont vu les aventures de bébé Yoda aient suivi les pas (parfois compliqués) de Numerama.
Après 3h et beaucoup trop d'euros dépensés, nous sommes abonnés à Disney+ ! https://t.co/oO1ZtFdqXO
— Numerama (@Numerama) November 12, 2019
The Mandalorian est un cas à part. Une série pas encore disponible en France et qui est piratée parce que l'offre n'est pas présente. Le problème, c'est que depuis quelques mois, même quand l'offre est là, on ne se tourne plus forcément vers les plateformes officielles.
Le streaming, c'est fantastique
On pensait pourtant que l'offre légale avait commencé à venir à bout du piratage. Au fond, comme l'écrivait le New York Mag en juin 2019, les personnes qui avaient continué à télécharger s'étaient faites rares. «Quelques années après avoir menacé la totalité de l'industrie du divertissement, le piratage était devenu le repère des obsessifs et des paranos, des cinéphiles et audiophiles qui voulaient posséder des copies locales en haute qualité et qui ne voulaient pas plier le genou à l'industrie, alors que même les plus grands amateurs de torrents étaient contents de Netflix et compagnie», avançait alors le site américain.
Il faut dire que depuis la fin de Megaupload et la montée en puissance de Netflix, tout est devenu tellement plus pratique pour la grande majorité des internautes qui ne veulent pas voir s'afficher une dizaine de pop-ups à chaque ouverture de site ou prendre le risque d'infecter leur appareil après avoir consulté un site qu'il ne fallait pas.
Preuve en est, les consultations de ces sites ont diminué ces dernières années. Comme l'a repéré Vice, une étude européenne assure que le nombre de personnes de 15 à 24 ans qui ont intentionnellement accédé à du contenu illégal est passé de 25% à 21% des personnes interrogées entre 2016 et 2019. Par ailleurs, «les visites de ces sites sont passées de 206 milliards en 2017 à 190 milliards en 2018», selon une autre enquête relayée par Wired UK.
Mais l'arrivée de toujours plus d'acteurs qui, eux aussi, ont envie de récupérer l'argent des abonné·es, fait que cette situation devient intenable.
Trop, c'est trop
La plupart des analyses pointent deux causes. D'abord, sur toutes ces plateformes, ce ne sont que quelques films ou séries qui nous intéressent réellement. On se retrouve donc avec le même problème que lorsque l'on se plaignait de devoir payer un abonnement satellite pour des dizaines de chaînes que l'on ne regardait pas. Alors pourquoi reprendre un abonnement pour un catalogue complet, quand seuls quelques éléments nous intéressent? Et que faire quand ce qui nous plaît finit par disparaître des plateformes?
La deuxième, c'est que l'éclatement et l'exclusivité des contenus nous obligent à multiplier les comptes et les dépenses. Et tout cela coûte cher. Très cher. Aux États-Unis, Vice a fait les comptes. Rien qu'avec HBO (Game of Thrones), Apple TV+ (The Morning Show), CBS All-Access (The Good Fight), Amazon Prime (Jack Ryan), Hulu (The Handmaid's Tale) et Netflix (Stranger Things), cela revient à 60,93 dollars (55,06 euros) par mois.
Et ça, c'est juste pour les plus évidents. Au total, un cabinet cité par Variety a recensé 300 services de streaming OTT différents, ces plateformes où tout passe par internet. Difficile de s'y retrouver. Les Américains ont d'ailleurs inventé une expression pour capturer cette impression : «subscription fatigue» (la fatigue de l'abonnement). L'offre a dépassé la demande.
En France, on n'a pas encore atteint de tels sommets, mais rien qu'en matière de séries, il faut déjà compter sur Canal+ Séries (Killing Eve), OCS (notamment pour les séries HBO), Netflix et Amazon Prime. 30,96 euros par mois, auxquels il faudra probablement bientôt ajouter les 4,99 euros à débourser pour un abonnement Disney+, et 2 à 8 euros pour Salto, le fameux «Netflix français».
Si l'offre musicale est loin d'être parfaite, Spotify, Deezer et les autres ont réussi à passer des marchés avec la plupart des acteurs pour nous permettre d'accéder à un catalogue suffisamment large pour la grande majorité des gens et à un prix abordable.
«Il est clair que les entreprises écrasent les clients avec des produits, et un point de rupture va arriver quand les gens ne seront plus en mesure de payer pour tout cela, continue Vice. Alors que de plus en plus de services de streaming sont lancés, chacun avec son propre contenu bloqué par les autres, il serait ignorant et naïf de penser que le piratage n'augmentera pas avec lui.»
Une étude relayée par TechRadar en septembre 2019 indiquait qu'au Royaume-Uni, seules 18% des personnes interrogées admettent visionner des films et séries via des plateformes de streaming non autorisées ou après les avoir téléchargés illégalement. En revanche, poursuit le site spécialisé, «ce chiffre pourrait passer à 37% si le marché continue à se fragmenter en différents services».
Retour à la case torrent
Les premiers signes sont déjà là. Ils remontent d'ailleurs à septembre 2018 quand Torrent Freak annonçait que le trafic était en train de remonter sur BitTorrent, un protocole de tranfert P2P, et que la fragmentation de l'offre en était très probablement responsable.
Reste à savoir cependant si la nouvelle génération, celle qui n'a jamais vraiment eu besoin de pirater pour avoir accès aux contenus, saura s'y prendre. Comme l'explique justement le New York Mag, «savoir où aller chercher les bons zips d'album ressemble à un savoir archaïque, un truc de niche que l'on se passe de père en fils ou de mère en fille. Le partage de fichiers en pair-à-pair n'existe pas vraiment sur mobile, l'appareil principal sur lequel les jeunes générations consomment les médias désormais.»
C'est peut-être dans ces difficultés techniques que réside le plus grand espoir des services de streaming. Car si le piratage revient pour de bon et se simplifie, la situation risque de rapidement tourner au vinaigre pour certains, avance TechRadar. «Le marché ne pourra probablement pas soutenir tous ces services. Même le lancement légèrement décevant d'Apple TV+ suggère qu'il faut plus qu'un énorme trésor, des grandes stars et une énorme base d'utilisateurs pour faire son trou dans cette ère ultra-compétitive pour la télévision.»
Et si on le laisse revenir sur le devant de la scène, le piratage risque de rendre cette ère encore plus compétitive qu'elle ne l'est déjà, conclut TechDirt: «La principale leçon apprise la dernière fois est que vous devez rivaliser avec le piratage. Ce n'est pas vraiment un choix. C'est bien réel, c'est impossible de l'arrêter, et la meilleure façon de l'atténuer est d'écouter vos clients. Construire des silos, augmenter les tarifs et ignorer ce que veulent les abonnés est exactement le contraire.»