Malgré les nombreuses censures d'Instagram, qui part à la chasse au moindre téton féminin, beaucoup de comptes dédiés au sexe et à la jouissance passent entre les gouttes et déferlent sur le réseau social. Merci beau cul, T'as joui?, Le cul nu, Tu bandes? ou encore Jouissance club balaient les préjugés sur la sexualité et complètent les vides d'une éducation sexuelle survolée.
Bonnet d'âne pour la France
«En France, l'éducation sexuelle, c'est un préservatif qu'on enfile sur une banane et ça s'arrête là», commence Manon, la jeune femme aux commandes du compte Instagram Le cul nu. Alors que les élèves français·es sont censé·es recevoir trois séances d'éducation sexuelle par an, en pratique, l'enseignement se limite souvent à une séance vite expédiée.
Si des efforts sont faits pour améliorer l'application de la loi du loi 4 juillet 2001, les principaux intéressés gardent rarement un souvenir intarissable de ces cours, pour la plupart cantonnés à la reproduction et aux MST. «Le consentement et le plaisir ne sont jamais abordés», poursuit l'instagrameuse, qui a eu la chance d'être renseignée très tôt sur ces sujets grâce à «des parents plutôt ouverts».
Les élèves moins bien loti·es qui ne trouvent pas les réponses à leurs questions dans le cadre scolaire se tournent vers l'outil qui leur est le plus familier: internet. Et bien souvent, leurs requêtes et leur curiosité les mènent à des contenus pornographiques.
«Le porno c'est pratique, mais ça rend notre cerveau un peu feignant. On l'habitue à des images toutes prêtes et lorsqu'il est confronté à la réalité, c'est limite décevant», explique Jüne sur sa page Jouissance Club.
Si ces contenus permettent aux jeunes d'explorer leur sexualité, ils constituent parfois leur premier contact avec celle-ci et peuvent véhiculer une vision éloignée du réel. «Les gens se comparent aux acteurs de films porno et se demandent s'ils sont normaux. C'est comme se comparer aux super-héros de X-Men et se demander pourquoi on n'arrive pas à envoyer des boules de feu», déplore l'illustratrice.
La vie sexuelle en images
Flairant le potentiel d'Instagram après la vague #MeToo, les comptes en faveur d'une éducation sexuelle ludique et bienveillante se sont multipliés sur la plateforme.
Sur leur page Merci beau cul, Delphine et Léa discutent «de sujets tabous dont on ne parle pas assez dans le cadre de l'éducation sexuelle à l'école ou dans la société». Cycle masculin, libido, méthodes contraceptives, zones érogènes, anatomie… Aucun thème n'échappe aux deux amies qui condensent et vulgarisent leurs recherches en légende d'images inspirantes.
«C'est le format le plus simple quand tu débutes et que tu n'as pas d'argent à investir», répondent-elles quand on leur demande pourquoi elles ont choisi ce réseau social. Un point de vue partagé par Manon qui évoque l'esprit communautaire de la plateforme pour expliquer en partie le succès de son compte Le cul nu, qui traite de la sexualité sans interdits.
C'est en tentant de montrer en dessin à un de ses partenaires comment atteindre une zone de son vagin que Jüne a eu l'idée de créer Jouissance club. Pour alimenter sa page, l'illustratrice y poste des croquis et des conseils concrets indiquant avec précision le point à toucher ou à lécher pour faire grimper son ou sa partenaire aux rideaux. D'autres pages comme Tu bandes? et T'as joui? tentent également de dédramatiser le sexe et de briser les tabous.
Bien que l'audience principale de ces comptes soit, sans surprise, des femmes âgées de 18 à 25 ans et des couples cherchant à pimenter leur vie sexuelle, cela n'empêche pas les hommes plus âgés de les consulter régulièrement.
Les sexologues du web
Si le succès de ces pages auprès des jeunes adultes s'explique par la tranche d'âge des membres du réseau social, c'est loin d'être le seul facteur. «Instagram favorise le dialogue avec les abonnés», selon Jüne qui assure se remettre en question et adapter ses posts en fonction des retours qu'elle reçoit: «Moi aussi, j'en apprends tous les jours grâce à eux.»
Derrière leurs smartphones, les gens osent davantage communiquer et se confier sur des sujets parfois très personnels. Ils s'identifient aux récits des autres et témoignent à leur tour au gré des sondages proposés dans les stories des comptes qu'ils suivent.
«Je vois Instagram comme un journal, on s'y exprime de manière naturelle», révèle Léa, cofondatrice de Merci beau cul. Effectivement, du plus visuel au plus éducatif, les comptes autour de la sexualité ont tout de personnel et d'accessible. Le ton y est familier et les images décomplexantes, si bien que les langues des abonné·es en quête de réponses se délient volontiers, sans crainte de jugement.
Pour Manon, c'est paradoxalement parce que les réseaux sociaux «instaurent une certaine distance» qu'on y est à l'aise. Faire appel à un·e professionnel·le de santé, c'est se placer face à quelqu'un et affronter son regard. Derrière leurs pseudonymes, les internautes n'ont pas peur de s'adresser à de parfait·es inconnu·es, même lorsque cela concerne leur santé.
«Je reçois des questions auxquelles je ne peux pas répondre. Je ne suis ni psychologue, ni gynéco», rappelle l'illustratrice de Jouissance club. Manon est elle aussi souvent prise pour «la sexologue de l'internaute» par ses abonné·es.
Qu'on ne s'y trompe pas: l'instagrameuse ne prétend pas remplacer les médecins et spécialistes, ni même l'éducation sexuelle classique, mais parle «d'alternatives non professionnelles qui peuvent apporter beaucoup dans la vie de certaines personnes».
Si Manon, Jüne, Delphine et Léa ne sont pas qualifiées pour répondre à tous les questionnements, elles abordent avec bienveillance la sexualité et décomplexent le dialogue. «J'ai juste envie de rassurer les gens et de leur dire qu'ils sont normaux», souligne la créatrice de Jouissance club.
Sexuality is not dirty
Page supprimée ou suspendue, publications effacées… Tous les comptes cités ont subi la censure d'Instagram. Même Jouissance club, qui n'enfreint aucune règle en publiant exclusivement des illustrations, en a eu pour son grade.
«Mon compte a été supprimé deux fois», raconte Jüne. «La censure reflète les tabous de la société», analysent les créatrices de Merci beau cul, dont le compte a disparu pendant un mois en avril dernier. Pour Manon non plus, la sentence n'a pas traîné: «J'ai créé mon compte mi-décembre, j'ai été censurée en janvier.»
C'est bien connu, Instagram a les tétons féminins dans le collimateur. Le compte nippleresolution, désormais supprimé par la plateforme, s'en amusait d'ailleurs et jouait allègrement avec ces critères de censure.
Pour contourner les sentinelles, Manon avoue avoir adapté ses pratiques: «Je mets peu de hashtags, je choisis bien mes photos et je publie moins», confie la jeune femme qui semble ne plus être dans le viseur de l'application.
Mais Instagram ne part pas seulement à la chasse aux mamelons et censure surtout les contenus éducatifs autour du plaisir, oubliant de distinguer pornographie et pédagogie.
S'agit-il d'une censure humaine ou automatisée par des algorithmes? Difficile à dire, même s'il existe bel et bien des raids de signalements organisés par des anti-féministes.
Pour Jouissance club et Le cul nu, cette délation en masse a eu l'effet inverse de celui escompté. Grâce au hashtag de soutien #SexualityIsNotDirty et à la mobilisation des internautes, les deux comptes ont gagné des dizaines de milliers d'abonné·es et ont été réhabilités comme par magie par Instagram qui s'est confondu en excuses, prétextant une simple «erreur».