Bob de Niro et Joe Pesci dans The Irishman de Scorcese –mafieux certes, mais qui n'ont jamais perdu autant d'argent que Wall Street. | Netflix

Bob de Niro et Joe Pesci dans The Irishman de Scorcese –mafieux certes, mais qui n'ont jamais perdu autant d'argent que Wall Street. | Netflix

Mieux valait-il confier ses économies à la Mafia qu'à Wall Street

Le fonds de pension d'un gigantesque syndicat américain s'est effondré après sa reprise en main par des grandes banques.

L'intrigue du dernier film de Martin Scorsese, The Irishman, sorti le 27 novembre sur Netflix, tourne en grande partie autour de Jimmy Hoffa et du syndicat qu'il présidait alors, l'International Brotherhood of Teamsters (Fraternité internationale des conducteurs).

Les Teamsters constituent l'un des syndicats les plus influents au monde, avec plus d'un million de membres revendiqués. Il défend les conditions de travail des conduteurs de poids lourd dans toute l'Amérique du Nord. Bien entendu, si l'institution figure dans un film de Scorsese avec Robert de Niro, Joe Pesci et Al Pacino dans les rôles principaux, c'est que ses activités n'ont pas toujours été très légales.

Il est de notoriété publique qu'une bonne partie des branches locales des Teamsters étaient, dès leur création, controlées par le crime organisé. Jimmy Hoffa en particulier, qui a présidé le syndicat de 1957 jusqu'à son emprisonnement en 1967, avait des liens très forts avec la mafia italo-américaine de Chicago. Il était même un personnage clé de leurs organisations.

La banque privée de la mafia

Comme l'explique Martin Short dans son livre The Rise of the Mafia, «depuis 1955, le meilleur atout de la mafia de Chicago était le fonds de pension des Teamsters. Le fonds était censé assurer la retraite des camionneurs américains, dont les contributions hebdomadaires de leurs employeurs ont rapidement atteint les milliards de dollars. […] Le fonds servait de banque à la Mafia».

Baptisé Central States, le fonds était dirigé par Allen Dorfman, une figure respectée par la mafia, arrêté pour corruption en 1981 puis assassiné deux ans plus tard. Sous sa direction, Central States a servi à financer toutes sortes d'activités illégales, notamment à investir dans des hôtels et casinos de Las Vegas tenus par le «Chicago Outfit», puis à blanchir les millions qui en sortaient.

En 1987, le gouvernement décide d'attaquer frontalement le syndicat et de l'expurger de ses liens avec le crime organisé. Il choisit pour cela le procureur fédéral de New York, Rudolph Giuliani, qui deviendra par la suite maire de la ville puis avocat de Donald Trump.

Pour rompre ce pacte avec le diable, Giuliani sort l'artillerie lourde et attaque les Teamsters en justice pour racket et corruption, sur la base du RICO Act («Racketeer Influenced and Corrupt Organizations»), une loi taillée sur-mesure pour démanteler les réseaux mafieux.

Forcé de conclure un accord avec le gouvernement, le syndicat des Teamsters accepte alors de faire de nombreuses concessions. Cinq cents personnes jugées proches de la mafia sont exclues, le syndicat perd son indépendance et il est placé sous la surveillance rapprochée d'observateurs fédéraux.

Mise sous tutelle

Central State, le nerf de la guerre, est aussi placé sous tutelle. Il est décidé qu'il sera dorénavant géré par des grandes banques privées, afin qu'il soit administré «dans le seul intérêt des bénéficiaires». Goldman Sachs et Northern Trust reprennent la main et sont chargés d'engager des gestionnaires pour gérer ses investissements et le faire fructifier. Le tout moyennant finances, bien entendu.

Ironiquement, c'est à ce moment-là que la situation a tourné au vinaigre. Si la corruption généralisée faisait perdre de l'argent aux Teamsters, ces pertes n'ont jamais approché les sommets atteints sous l'égide de Wall Street.

L'une des causes à ces pertes n'est néanmoins pas vraiment imputables aux banques: la dérégulation du transport routier a fait mettre la clé sous la porte à nombre d'entreprises qui cotisaient pour le fonds de pension, lui faisant perdre d'importantes sources de revenus.

Ce qui est en revanche imputable à ses nouveaux gestionnaires est que le fonds a pris de plein fouet l'éclatement de la bulle internet au début des années 2000, et surtout celle des subprimes en 2008.

D'après Market Watch, en 2007, Central State disposait de 1,4 milliard de dollars (1,26 milliard d'euros) en obligations mal notées, et d'au moins 270 millions de dollars en titres adossés à des créances hypothécaires provenant de Lehman Brothers, Bear Stearns, IndyMac et autres banques ayant fait faillite en 2008. Le fonds disposait même de parts dans le capital desdites banques –le tout s'est largement envolé avec leur effondrement.

En quinze mois seulement, entre 2008 et début 2019, Market Watch estime que Central State a subi une perte de 11,1 milliards de dollars, soit une chute de 42% de ses actifs financiers. Faisant ainsi disparaitre «plus d'argent et en un laps de temps plus court que les mafieux n'en ont jamais rêvé».

Après ces crises répétées, Central State s'est retrouvé dans le rouge, risquant de ne pas pouvoir payer l'intégralité des retraites qu'il devait aux syndiqué·es des Teamsters. En 2015, ses dirigeants ont donc fait du lobbying auprès du gouvernement afin de réduire le montant des retraites de centaines de milliers de camionneurs et camionneuses, tout en conservant la gestion de leur fonds.

Pire, il semblerait que cette catastrophe n'ait pas tellement modifié la donne, ni les méthodes. En 2017, le New York Times estimait que 40% du fonds des Teamsters de l'État de New York se trouvait dans des «investissements “alternatifs” opaques et couteux».

Ce n'est finalement que fin novembre 2019, sous la pression des Teamsters, que le Sénat a voté une série de réformes des fonds de pensions multi-employeurs (comme Central State), afin de leur faire éviter la crise et de les rendre plus stables.

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