Pour des adeptes de la théorie ultralibérale, l'individu est le seul responsable de ce qu'il vit et subit. Ne pas avoir de travail ou vivre dans l'extrême pauvreté serait le résultat de mauvaises décisions et d'un comportement inadapté.
L'idée est largement partagée. Selon un sondage de 2016 réalisé par l'Ifop pour Atlantico, 48% des Français estiment que les individus sont responsables de leur propre bien-être. Aux États-Unis, cette conviction est encore plus ancrée: 66% la partageraient, si l'on en croit l'étude 2016 Poverty Survey.
Les personnes qui se trouvent en situation de pauvreté sont régulièrement blamées pour leur propre misère et pointées du doigt pour leur paresse, leurs addictions voire leur violence. Selon cette logique, les aides sociales sont critiquées parce qu'elles encourageraient un cercle vicieux: elles pousseraient ces individus vers une misère plus extrême encore.
Les choses sont plus complexes que veut bien le dépeindre cette image d'Épinal. Le Japon en offre un parfait contre-exemple: ce pays est riche et les individus suivent toutes les prescriptions attendues par la vie sociale. Son niveau de pauvreté n'en demeure pas moins important.
Cachez cette pauvreté
La population japonaise remplit tous les critères de bienséance édictés par la théorie de l'ultralibéralisme. Le taux de chômage peine à atteindre les 2,6% et le taux d'emploi, à plus de 77%, est bien supérieur à celui des États-Unis (71%).
La violence y est tellement rare qu'elle est à peine enregistrée –0,204 homicide pour 100.000 personnes. Les drogues sont presque absentes de l'archipel: 1,2% des Nippon·es ont déjà consommé de la marijuana, 0,4% de la méthamphétamine et personne n'achète de cocaïne ou d'héroïne.
Le Japon ne devrait compter que très peu de personnes indigentes, si l'on en croit la théorie de la responsabilité personnelle. Or, le taux de pauvreté du pays est supérieur à 15%. Soit un peu moins que celui des États-Unis mais considérablement plus élevé que celui de pays comme l'Allemagne, le Canada ou l'Australie. On estime que près de 14% des enfants, soit quelque 3,5 millions au total, vivent sous le seuil de pauvreté.
Comment expliquer un tel décalage entre comportement et vie nécessiteuse? Par la faible rémunération des emplois, par un système de protection sociale moins important et parce que la ville tout entière est conçue pour escamoter les gens qui vivent dans la pauvreté.
Des rémunérations plus élevées ainsi qu'une meilleure protection de la part des entreprises comme des États semblent agir plus efficacement contre la misère que les anathèmes de classe et les jugements moraux.