«Default!»: dans certaines cours de récréation, l'expression est devenue une insulte à la mode. Le nom d'oiseau 2.0 n'est pas tombé du ciel: il sort des PS4, Xbox, PC ou smartphones sur lesquels les enfants et ados jouent à Fortnite.
Dans ce jeu à l'accès gratuit mais aux améliorations cosmétiques payantes, un default est un joueur ou une joueuse n'ayant jamais délié les cordons de sa bourse pour acheter une autre tenue que celle fournie par défaut.
Du jeu à la récré
Carton économique et phénomène sociétal, Fortnite a depuis longtemps quitté le média du jeu vidéo pour devenir un prolongement de la vie sociale des plus jeunes, un terrain de jeu, un espace de rencontre loin des parents et des tracas du monde réel –du moins, comme l'explique Polygon dans un long article, pour celles et ceux qui paient.
Pour les autres, les schémas habituels rencontrés IRL, évidemment pas les plus sympathiques, risquent de se reproduire dans le jeu. «Alors que Fortnite a évolué vers un espace d'échanges, la complexité des hiérarchies sociales a suivi», écrit la journaliste Patricia Hernandez.
Selon elle, la manière dont le jeune public s'est emparé de Fortnite presse enfants et ados à investir dans des skins pour ne pas se sentir à la traîne, pour être vu·e et respecté·e, pour ne pas devenir une cible trop évidente (un·e default n'a souvent que peu d'expérience dans le jeu et est donc facile à abattre).
Cette pression sociale peut se poursuivre dans le monde réel. Un professeur d'école raconte avoir souvent entendu l'insulte voler dans son établissement et, pire, avoir vu des gamins être psychologiquement malmenés par leurs camarades à l'équipement plus fourni.
Prix à payer
Comme pour la bonne vieille exigence de vêtements et baskets de marque surgit alors la question des moyens financiers des parents.
Tout le monde ne peut pas se permettre de dépenser dix ou vingt dollars pour un déguisement virtuel ou s'offrir une rutilante console de jeu –jouer sur un simple mobile est perçu par la communauté de gamers comme un premier signe de pauvreté.
Deux vidéos visionnées plusieurs millions de fois montrent à quel point les defaults sont devenus des cibles, à la fois des balles qui les abattent –c'est le jeu, il est cruel– mais également de procédés vicieux et de blagues méchantes.
L'humiliation subie par les victimes peut engendrer un stress émotionnel, une perte d'estime et des dégâts psychologiques potentiellement durables.
«Tout le monde rivalise pour ce genre de capital social, souligne le professeur Sameer Hinduja, co-directeur du Cyberbullying Research Center, qui évoque également la pression sociale du cool. Cette compétition nourrit une forme de cruauté et chacun essaie de rester au top, même si le prix est de piétiner et détruire les autres.»
Epic Games a beau avoir mis en place plusieurs façons détournées d'obtenir des skins sans se ruiner, Fortnite reste un free-to-play dont les revenus colossaux dépendent des micro-investissements et le modèle ne changera pas.