C'est devenu un rituel quotidien: pousser un canapé pour faire de la place, fermer les rideaux pour éviter de montrer ce spectacle navrant à autrui et allumer la console Switch pour lancer une séance de Fitness Boxing.
Un gros quart d'heure par jour, à heures irrégulières, manettes Joy-Con aux mains (sans les dragonnes, malgré les supplications du jeu: ne faites pas ça chez vous!), j'enchaîne uppercuts, jabs, esquives et mouvements en imaginant mes pires ennemis entre mes poings et ma télévision.
Petits pains virtuels
Chaque étirement fait craquer la moitié du corps, preuve qu'écrire cet article était une expérience profitable pour son auteur. L'exercice me fait perdre une grosse centaine de calories, vite regagnées en buvant un nombre suffisant de canettes de boissons sucrées pour étancher ma soif.
De ces contradictions naissent au moins la satisfaction de faire quelque chose pour garder (ou retrouver) la forme, pour seulement la moitié du prix des frais de dossier d'une salle de sport.
Il semble clair que le jeu Fitness Boxing n'est qu'une manière particulièrement alambiquée de mettre des patates dans le vide, validées ou non par la reconnaissance de mouvement des manettes.
Ce n'est pas un logiciel qui permet de faire des espaliers, de bénéficier d'un suivi professionnel ou d'établir un vrai bilan des besoins et dépenses de votre corps. Mais ce qui est intéressant, c'est ce qui a pu inspirer ce titre: une lignée de jeux de sport et la philosophie de Nintendo.
Le trailer de lancement de Fitness Boxing.
«Guitar Hero» version boxe
La sortie de Fitness Boxing a été bien moins discrète au Japon, où elle été accompagnée de spots publicitaires, que dans le reste du monde. Le jeu mise sur l'accessibilité et la portabilité de la console Switch, doublées d'un beau modèle de fit-tech: on peut emmener la bête et faire sa séance où l'on veut.
Au lancement, on est accueilli par un coach virtuel, qui demande notre poids, notre taille et le menu souhaité: cardio, muscles ou (remise en) forme. À partir de là, Fitness Boxing mise sur l'aspect récurrent de l'entraînement: un calendrier, des tampons –petit fétiche nippon– pour marquer les jours où l'on a suivi le programme et quelques cadeaux cosmétiques de temps en temps motivent à enchaîner les séances.
Celles-ci sont toutes structurées de la même manière. Le début et la fin sont consacrés à des étirements, où l'on suit les instructions de son coach sans que le jeu ne puisse vérifier quoi que ce soit. Entre les deux, c'est l'heure de la boxe à (im)proprement parler: il s'agit avant tout de placer les bons coups au bon moment, à la manière d'un jeu de rythme –un Guitar Hero en un peu plus physique, en somme.
Jab, crochet du droit, du gauche, uppercut, direct, esquive: tous les mouvement sont validés grâce aux manettes Joy-Con, qui détectent vos déplacements dans l'espace. Malheureusement, le jeu est souvent un peu trop imprécis dans sa détection.
En tout, on passe six minutes à se balancer sur une reprise instrumentale de «Bad Romance» ou «Video Killed the Radio Star», à réaliser des enchaînements de coups de plus en plus ardus.
Si votre coach s'efforce de donner des conseils sur la décomposition des mouvements, votre Switch et ses limitations ne peuvent techniquement pas faire grand-chose pour prouver la réalité de vos efforts et de vos succès.
Marrant mais épuisant
Chaque jour, les séances se corsent. Les enchaînements sont de plus en plus complexes, et on vous demande rapidement d'effectuer des combos (enchaînement spéciaux) assez physiques: jab, jab, uppercut, direct et esquive, à refaire huit fois; on change de côté, et c'est reparti.
Au début, c'est une partie de rigolade. Le concept de base est très simple, pour ne pas dire pauvre pour un jeu vidéo à plus de 40 euros. Mais il s'étoffe sur la longueur et révèle finalement son potentiel sudatoire. La vraie valeur ajoutée de Fitness Boxing, c'est de se dépenser et de ressentir l'effort avec un risque quasi nul de se faire mal.
Le jeu propose également une expérience entièrement modulable: on choisit son coach, ses vêtements, la musique de fond, l'intensité et la durée des séances (qui varie du simple au double), les parties du corps que l'on souhaite travailler. Le but est en revanche unique: il faut dépenser le plus de calories possible (des objectifs à tenir sur le moyen terme auraient d'ailleurs été bienvenus).
On peut jouer en duo, avec une ou deux paires de Joy-Con. Quand on se contente d'une manette, les mouvements de l'autre bras sont validés automatiquement.
Bref, Fitness Boxing est une façon sommaire de faire du sport à la maison, sans risque et qui peut correspondre à un besoin bien précis. Il s'agit d'une manière comme une autre de rendre le sport ludique, à l'image des applications d'accompagnement des véritables salles.
Nintendo fait bouger le monde
Nintendo n'a pas le monopole du sport ludifié, mais sur le plan technique, la firme japonaise a toujours préparé le terrain pour son développement.
Pour bouger grâce à un jeu vidéo, il faut du motion gaming et des détecteurs de mouvement, et c'est précisément le cas des Joy-Con ou de la Wiimote de la console Wii. Zumba Fitness, EA Sports Active, Daisy Fuentes Pilates, tous les développeurs y sont allés de leur titre monté à la va-vite, sur une console Wii vite inondée par des jeux de sport.
Par définition, le marché mobile est tout aussi propice à ce genre d'activités. Le studio Six To Start l'a bien compris: son application Zombies, Run! permet d'accompagner des sessions de jogging avec des scénarios d'apocalypse zombie.
Le principe est simple: on lance l'histoire, on court pour échapper aux affreux, on ralentit de temps en temps et on se laisse porter par la narration.
Joggers et joggeuses peuvent s'amuser à courir en se faisant peur.
Le jeu Fitness Boxing, lui, est développé par Imagineer mais édité par Nintendo. Le studio japonais s'est inspiré d'autres titres du géant du jeu vidéo. De fait, Nintendo a su tout au long de son histoire proposer des jeux conçus autour d'un accessoire, dont certains ont été consacrés à la santé et au bien-être.
Parmi eux, citons le Wii Vitality Sensor, annoncé en grande pompe lors de l'Electronic Entertainment Expo de 2009 mais jamais sorti. L'outil aurait pu fonctionner de concert avec la Wii Balance Board, l'accessoire jaugeant le poids et le centre de gravité indispensable pour jouer à la série des Wii Fit.
Ces titres ont eux aussi valeur de journal quotidien à tenir, et l'on peut se fixer pour objectif de perdre du poids. Vos résultats dans des entraînements de yoga, des mini-jeux et autres exercices déterminent un score, ainsi qu'un âge virtuel allant de 18 à 69 ans.
Offrir une valeur au corps ou un âge à l'esprit est une marotte puisant son origine dans le Programme d'entraînement cérébral du Dr Kawashima, sorti sur Nintendo DS en 2006, dont le sous-titre nous proposait de calculer «l'âge de notre cerveau» –un simple jeu et rien d'autre, ont conclu des universitaires.
Inégalable «EyeToy Kinetic»
Avec ou sans accessoire, Nintendo n'est pas la seule entreprise à s'être positionnée sur le jeu de sport. Si l'on peut citer d'innombrables titres de salon ou de salles d'arcade, dont un Sonic Athletics nécessitant de courir sur un tapis roulant tout en appuyant sur un bouton pour sauter des haies virtuelles, c'est le studio SIE London qui en 2005 a poussé le concept à son maximum.
D'autres misent sur la reconnaissance de mouvements? Avec EyeToy Kinetic, les Britanniques raisonnent à l'envers et détectent vos gestes de manière indirecte: vous êtes filmé·e, et c'est le rendu vidéo qui interagit avec les objets virtuels à l'écran. Enregistré·e par la caméra-accessoire, vous vous voyez directement gigoter sur votre écran.
Quelques lustres avant l'arrivée de la caméra maudite Kinect pour Xbox, c'est la caméra EyeToy, sur Playstation 2, qui a fait office de précurseur.
Exploration en profondeur d'EyeToy Kinetic, par un spécialiste du genre.
À ce jour, EyeToy Kinetic reste un jeu imbattable en matière de coaching sportif personnalisé. Il propose un programme sur douze semaines, à raison de deux séances par semaine, et s'agrémente d'exercices dont la difficulté dépend de vos scores. Quatre sections sont proposées: cardio, combat, tonus, corps ou esprit. À chaque fois, les étirements suivent en vidéo.
Mais le cœur du titre reste la multitude de mini-jeux où l'on doit, grâce au retour sur l'écran, toucher, suivre, frapper et chasser des formes avec les bras et les jambes.
S'il est sans doute l'un des titres qui a su le mieux rendre le sport ludique, EyeToy Kinetic est hélas tombé dans le retrogaming, et il faut deux accessoires improbables pour en profiter correctement: la caméra idoine et un accessoire unique qui permet de la faire passer en grand angle. Camarades concepteurs de jeux vidéo, vous savez désormais de quoi vous inspirer.