Sexisme et harcèlement sont le quotidien de gamers et streamers sur Twitch. | jurien huggins via Unsplash
Sexisme et harcèlement sont le quotidien de gamers et streamers sur Twitch. | jurien huggins via Unsplash

Sexisme, cyberharcèlement, entresoi: Twitch confronté à la masculinité toxique

Sur la plus grande plateforme de streaming de jeux vidéo, des comportements banalisent les idées sexistes et excluent les joueuses ou les spectatrices.

Dans le monde du streaming, fier de sa liberté de ton, il est un sujet dont on ne parle pas. Trop clivant, trop sérieux, trop premier degré: le sexisme. «C'est tellement tabou dans les jeux vidéo que personne ne veut trop se mouiller», déplore ZulZorander, sur Twitch depuis deux ans.

La réalité du sexisme subi par les streameuses a pourtant été démontrée par une étude américaine de 2016. Sur la plateforme rachetée par Amazon en 2017, les hommes reçoivent des commentaires sur leur talent quand les femmes en reçoivent sur leur physique. «On en voit absolument tous les jours, s'exaspère Nat_Ali, trois ans de streaming au compteur. Si on n'est pas dans les canons de beauté classique, on le sait très vite, alors qu'on ne dira rien à un homme.»

Quand la parole surgit pour dénoncer ce machisme ambiant, elle dérange. Comme pour cette étudiante de Sciences Po Grenoble. Début novembre 2019, Clara B publie sur Twitter un travail de recherche de quatre-vingt-onze pages, qui analyse les propos sexistes sur trois des plus grandes chaînes Twitch françaises. 150 heures de live décortiquées. «Je savais qu'il y avait du sexisme. Je voulais savoir à quelle échelle, et pourquoi», nous explique l'étudiante. Sa conclusion: il y en a peu sur les chaînes de ZeratoR et mistermv, beaucoup chez Kamet0.

Les insultes sexistes sont surtout proférées dans le chat, l'espace de discussion ouvert aux spectateurs et spectatrices. «Dans la minute, Kamet0 a partagé le tweet avec la photo d'une personne qui dort, pour dire: “ça m'ennuie”, se souvient la jeune femme. Sa communauté s'est sentie attaquée, j'ai reçu une pluie de réponses du même genre, et beaucoup de messages privés violents.»

Le streameur n'essaie pas de calmer le cyberharcèlement que subit l'étudiante. Il surenchérit dans la foulée et s'esclaffe d'avoir le «meilleur chat de France». Contacté, Kamet0 n'a pas répondu à nos sollicitations.

Au début, si je trouvais que quelqu'un méritait ma foudre, ça m'arrivait de retweeter sans rien dire, et je me disais “Si les gens de ma communauté voient ça passer, je veux voir leur avis”.
Sardoche, streameUr

Un autre pseudo revient souvent dans les témoignages dénonçant la misogynie sur Twitch: Sardoche, l'un des streameurs les plus regardés. «Lui, il n'y a pas que la cause des femmes sur laquelle il aime bien cracher», prévient Nat_ali. «S'il peut se permettre de dire que “Même avec un balai, elles puent la merde aux Jeux olympiques”, pourquoi les autres nous respecteraient? Quand deux des cinq plus gros streameurs posent problème, lui et Kamet0, c'est qu'il y a un problème sur Twitch», ajoute ZulZorander.

Sardoche juge cela «vexant, dans le sens où c'est très faux». «Ce qui a pu faire que je puisse être associé à ces clichés de toxicité masculiniste ou même transphobique, c'est peut-être des tweets un peu acerbes ou volontairement polarisants que j'ai dû faire il y a quatre ans», plaide-t-il.

Le streameur responsable de sa communauté

Quant à sa propension à jeter en pâture ses détracteurs à ses plus de 300.000 abonné·es sur Twitter, il relativise: «Au début, si je trouvais que quelqu'un méritait ma foudre, ça m'arrivait de retweeter sans rien dire, et je me disais “Si les gens de ma communauté voient ça passer, je veux voir leur avis”. Et souvent effectivement ça tournait en insultes, donc je ne le fais plus. Ou que contre les personnes très ridicules, celles qui recherchent la haine sur internet, et je leur donne. Mais c'est très rare. Et généralement ces personnes le méritent.»

Un grand pouvoir de nuisance. Pour quelle responsabilité? Selon Julien Paniac, dont la chaîne grossit depuis deux ans, le joueur influence sa communauté. «Si quelqu'un tombe dans les blagues sexistes, il aura un public intéressé pour rentrer dans ce jeu-là», assure le streameur de jeux de géographie. «Si une personne voit qu'avec ce genre de propos elle n'est pas la bienvenue, en général elle ne reste pas. Par exemple mistermv a une énorme communauté, mais je vois très rarement de propos tendancieux chez lui.» Cité par Clara B dans son étude, mistermv avait d'ailleurs pris sa défense.

Raids numériques et remarques misogynes sont deux facettes de la masculinité toxique en ligne. Fanny Lignon a dirigé l'ouvrage Genre et jeux vidéo (PUM, 2015), en partie consacré à ces questions. Elle a remarqué un idéal de la performance chez de nombreux joueurs. Longtemps éloignés de l'image de l'homme viril traditionnel, certains amateurs de jeux vidéo se seraient réapproprié les codes de la masculinité pour s'affirmer en tant qu'hommes à travers les compétences techniques.

Une masculinité geek toxique

«Quand les streameurs visent la performance, à travers les marathons de vingt-quatre heures par exemple, il y a un côté Iron Man, le geek accédant ainsi au statut de super-héros», illustre Fanny Lignon.

Isabelle Collet, autrice des Oubliées du numérique (Le Passeur, 2019), démontre que, poussée à l'extrême, cette masculinité geek devient toxique si elle tend à mépriser et harceler les faibles. Le concept fait son chemin dans la communauté gaming –le vidéaste Game Spectrum l'explore dans un documentaire diffusé début janvier 2020.

Sardoche n'y trouve pas de problème. Le joueur de 26 ans fonde toute sa ligne sur la performance. «Je ne vois pas en quoi c'est toxique dans le sens où ça permet à certaines personnes de prendre conscience que le monde est injuste et qu'il faut justement tout faire pour prendre sa part du gâteau.»

Ma seule performance, ça a été de dormir en live.
Copainduweb, streameUr

Loin des super-héros Marvel, il y a Copainduweb. Cagoule sur la tête, crochet à tricot en main. «Cet impératif ne m'intéresse pas, rit-il. Ma seule performance, ça a été de dormir en live.» Avec 60.000 abonné·es sur YouTube et 5.000 personnes qui le suivent sur Twitch, son audience est loin d'atteindre celle des streameurs les plus suivis aux centaines de milliers de followers.

Un score modeste qui peut s'expliquer par le fait que le vidéaste ne rentre pas dans les codes du gaming, ou par son arrivée récente sur la plateforme. Mais pas que. «La notoriété dans le numérique n'est pas bâtie que sur du mérite pur, évacue Isabelle Collet. Ne serait-ce que grâce aux phénomènes de cooptation très forts sur ce genre de réseaux.» Du copinage entre hommes, ajoute la chercheuse.

D'incroyables performances ne suffisent donc pas. Nat_ali n'est pas étonnée. «Il y a un entresoi masculin. On se dit que c'est pas si grave si Machin dit des trucs horribles, tant qu'il apporte de l'argent et fait des vues. Mais c'est un cercle vicieux: ils sont horribles donc ils font des vues, et comme ils font des vues, il faut les inviter aux gros événements.»

Que fait la plateforme?

Parfois, Twitch s'en mêle et bannit temporairement ses partenaires dont les propos rapportés dépassent la limite. Récemment Mickalow, Sardoche, Le Live –mais c'est rare. «On attendrait des prises de position beaucoup plus fortes, regrette Julien Paniac. On a l'impression que tant que le problème n'est pas financier, c'est le statu quo.» Nat_ali reproche à la plateforme de ne sanctionner qu'en cas de tollé.

Contacté par mail, un porte-parole de Twitch défend la politique de modération. «Nous voulons que tout le monde sente qu'il a sa place sur Twitch, et nous avons des directives et des outils très solides pour promouvoir un environnement sûr et inclusif pour tout le monde. Ce travail sera toujours une grande priorité et continuera. Nous avons une tolérance zéro envers les comportements haineux et les propos haineux.»

Face à la faible présence de contenu féministe sur Twitch, des vidéastes souhaitent investir la plateforme. C'est le cas de Marine Périn, qui s'apprête à lancer une libre antenne féministe. «Moi toute seule, je ne pense pas que je ferai pencher la balance», relativise la journaliste aux 28.000 abonné·es sur YouTube. «Si je n'ai que mon public habituel, ce sera déjà bien. Et si d'autres personnes tombent dessus, sont convaincues, très bien, mais ce n'est pas le but premier.»

Sur la pointe des pieds, le sujet fait son chemin dans le monde du streaming. Les appels à la bienveillance se font entendre. «J'ai envie qu'il y ait un dialogue avec tout le monde, songe ZulZorander. J'aimerais que les mecs s'impliquent, et pour le moment c'est pas trop le cas.» Qu'ils en parlent serait déjà un début.

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