Kim Dotcom à Auckland lors du lancement d'une nouvelle plateforme en 2013, un an après son arrestation spectaculaire par le FBI. | Michael Bradley / AFP
Kim Dotcom à Auckland lors du lancement d'une nouvelle plateforme en 2013, un an après son arrestation spectaculaire par le FBI. | Michael Bradley / AFP

Kim Dotcom, les grosses arnaques du mégapirate

Gloire et déchéance, fêtes bling-bling et banqueroute. Puis traque du FBI, jusqu’à la chute: le roi du téléchargement illégal aura tout vu, tout connu.

Ce 20 janvier 2012, en parcourant les interminables couloirs de sa luxueuse propriété néo-zélandaise, Dotcom mesure le chemin parcouru. Lui, le nerd gargantuesque, peut jubiler. Il s’est joué du destin, a triomphé de son enfance difficile et des hérédités complexes pour devenir un cador du net. Une incarnation bigger than life du changement de paradigme introduit par l’outil internet.

Mieux, une captivante quoique légèrement inquiétante promesse de nouveau monde… Dotcom y pense et puis oublie. Sa vie se déroule désormais dans un confort ouaté. Avant sa confcall quotidienne avec ses associés Finn Batato et Mathias Ortmann, il dépose un tendre baiser sur le front de sa femme Mona, une ancienne reine de beauté philippine –dont il est désormais séparé– et s’amuse avec ses cinq enfants. Tout va alors pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Dotcom se pense surpuissant, intouchable. Mais l’euphorie ne dure pas. Un vacarme assourdissant fait soudain trembler les murs de sa propriété. Deux hélicoptères de combat viennent se poser sur les pelouses du géant allemand, bientôt rejoints par soixante-seize hommes casqués et armés.

Une arrestation digne d'un blockbuster

En concertation avec le FBI, la police néo-zélandaise procède à l’arrestation de Dotcom. Ce dernier s’était retranché à la cave, dans une chambre forte construite derrière un dédale de pièces cachées, entre revival de la Guerre froide et délire survivaliste.

Digne d’un film d’action hollywoodien, l’interpellation est brève mais spectaculaire. La diffusion des images de l’arrestation, orchestrée par un Dotcom ivre de buzz, contribuera à construire son image de martyr de l’internet. Il faut dire qu’en concertation avec son homologue états-unienne, la justice néo-zélandaise va frapper fort, très fort.

On gèle ainsi immédiatement 6 millions d’euros sur les comptes de celui que l’on considère comme une menace pour l’industrie du divertissement. Sans tarder, la police emporte les disques durs qu’elle trouve sur les lieux de la propriété. Quelques œuvres d’art et plusieurs voitures sont également saisies. Parmi celles-ci, des Mercedes préparées par AMG –le pêché mignon du géant teuton–, une Cadillac rose d’un goût douteux et une Rolls-Royce Phantom décapotable.

Savamment préparée, l’arrestation a été planifiée depuis de longs mois. Elle fait suite à la fronde des majors du cinéma et de la musique regroupées en lobby, formant un front commun pour faire valoir leurs droits d’auteur allègrement bafoués par les personnes qui téléchargent via Megaupload. On estime les recettes de Megaupload à 175 millions de dollars, au bas mot, pour la période allant de septembre 2005, année de sa création, à la date de fermeture du site.

Plebiscité par les internautes du monde entier qui y trouvaient alors une parade bien pratique aux lois anti-piratage telles Hadopi, le site a rapidement vu son audience s’envoler. À son apogée, en 2011, Megaupload revendiquait ainsi 150 millions d’inscrit·es, 50 millions de visites quotidiennes et 4% du trafic internet mondial. Gigantesque.

Enfance triste et émois geeks

Défenseur de l'internet libre pour les un·es, voyou notoire et arnaqueur vulgaire pour les autres, Dotcom divise. Mais qui est-il vraiment? Derrière l’écran de fumée et le self-branding effréné, c’est un homme aux origines modeste et à l’enfance triste qui se dévoile après des mois d’enquête.

Son histoire commnence le 21 janvier 1974. C’est à Kiel, une petite ville portuaire du nord de l’Allemagne que Kim Dotcom, de son vrai nom Kim Schmitz, voit le jour. Son père est marin et travaille tous les jours au port comme capitaine de paquebot. Sa mère, émigrée finlandaise, enchaîne les petits boulots.

Pour quelqu’un de renfermé, qui ne vivait pas une vie très passionnante, les jeux vidéos et l’informatique constituaient des moyens formidables d’apprendre par soi-même.
Douglas Alves, historien du jeu vidéo.

Tout au long des années 1970 et 1980, la famille Schmitz mène une existence grise au milieu des barres d’immeubles. Le paternel est violent, les moments de joie familiale rares. Mais surtout, le regard des autres enfants est alors dévastateur…

Jugé trop grand pour son âge, trop gros, Kim mène alors une existence solitaire. Puisque la vie IRL ne l’épargne pas, sa découverte des écrans constitue une échappatoire bienvenue. La révélation prendra la forme d’une curieuse machine: un Commodore-16. L’appareil constitue alors une alternative économiquement abordable aux coûteux ordinateurs dont rêve Dotcom.

«Pour quelqu’un de renfermé, qui ne vivait pas une vie très passionnante, les jeux vidéos et l’informatique constituaient des moyens formidables d’apprendre par soi-même. Une façon exaltante de s’évader et de vivre de nouvelles expériences», raconte Douglas Alves, historien du jeu vidéo. Sans tarder, Kim devient un expert de cet ordinateur qui se résume à un clavier branché sur une télévision. Son horizon s’enlumine un peu.

De la cour de recré au hacking

Les yeux rivés sur l’écran, Kim s’initie à la programmation et bidouille des lignes de code à n’en plus finir. «À l’époque, quand on utilisait un Commodore, on avait tendance à vouloir comprendre ce qu’il y avait dans la machine. Or, il n’y avait pas d’OS graphique comme aujourd’hui avec des fenêtres, des dossiers, un bureau. On utilisait un Basic, c’est-à-dire un langage de programmation universitaire», explique Alves.

Au fil des mois, malgré ses machines rudimentaires, Kim parvient à se connecter sur une sorte de version antique d’internet qui utilisait les lignes téléphoniques, les réseaux BBS. Il y découvre une communauté de passionné·es dépassant largement les frontières de sa petite banlieue. Une véritable révélation.

Le CCC était composé de passionnés qui se procuraient des ordinateurs et cherchaient à comprendre comment ils fonctionnaient.
Dirk Engling. porte-parole du chaos computer club

De retour dans la cour de récréation, Schmitz se forge une nouvelle identité. Il est le tech guy qui copie des programmes sur disquettes et les vend à ses camarades. La personne a qui s’adresser pour obtenir des jeux vidéo bon marchés. L’argent de poche afflue.

Émerge alors pour la première fois un des penchants profonds du sombre héros de Kiel: sa propension à utiliser un savoir-faire informatique pour le transformer en juteux business. Le filon donne des idées à Kim. En 1990, à 16 ans et sans diplôme, ce dernier quitte l’école direction Berlin. Une ville en plein bouillonnement: le mur qui séparait jadis la ville en deux vient de tomber et l’enthousiasme est de mise. À peine débarqué, l’adolescent se dirige vers l'Alexanderplatz. Il recherche alors ce qui constitue le plus grand collectif de pirates informatiques d’Europe, le Chaos Computer Club (CCC).

«À l’époque, il s’agissait de passionnés qui se procuraient des ordinateurs et cherchaient à comprendre comment ils fonctionnaient, raconte son porte-parole Dirk Engling. On y trouvait des philosophes qui avaient compris que les machines pouvaient rendre le monde meilleur. Et dans leur sillage, une cohorte d'illuminés, comme toujours dans ces mouvements d’avant-gardes…»

À Berlin avec les pirates du CCC

Au fil des semaines, notre grand bonhomme, fasciné, traîne de plus en plus régulièrement dans les couloirs du CCC. Reste une condition à remplir: pour devenir membre du club, Schmitz doit faire ses preuves et démontrer de véritables capacités en informatique. Dès les premières sessions de programmation, le jeune homme se révèle pourtant beaucoup moins doué qu’il ne le pense.

Kim Dotcom est très malin pour utiliser les outils d’autres programmeurs à son compte.
Source OFF

Rédacteur en chef du Welt am Sonntag, Johannes Boie analyse: «Pour les vrais hackers, Kim Schmitz n’était rien de plus qu’un “Script Kiddy”. C’est-à-dire quelqu’un qui copie ou s’inspire de méthodes de piratage créées par d’autres. En somme, quelqu’un qui n’est pas capable de les inventer lui-même.»

De l’avis de toutes les personnes interrogées au cours de notre enquête, la chose est entendue: «Kim n’est pas forcément un très bon hacker». «Par contre, reprennent en off d’autres sources, il est très malin pour utiliser les outils d’autres programmeurs à son compte.» Trainant dans les couloirs du CCC, l’ado sympathise avec de jeunes hackers plus doués que lui. Et à défaut d’être un cador en informatique, Kim comprend rapidement tout le bénéfice qu’il va pouvoir tirer de cette bande de pirates inspirés.

C’est à cette période qu’il rencontre en ligne Emmanuel Gadaix, un informaticien français. Des années plus tard l’homme deviendra un des plus hauts dirigeants de Megaupload aux côtés de Kim Dotcom. Il raconte: «On se côtoyait en ligne. Kim était dans l’esbroufe. Il n’était pas un hacker de talent mais il avait déjà une qualité unique: un talent incroyable pour convaincre les gens de le suivre!» Kim utilise son charisme. Il fouine, flaire quelques individualités remarquables et entreprend, sans tarder, de les attirer puis de les utiliser pour gagner sa vie.

À l’époque, son groupe se fait appeler Dope et parvient à voler une liste de codes PBX sur les serveurs informatiques de compagnies américaines. Ces codes qui permettent d’utiliser gratuitement le téléphone, il les revend au prix fort sur les réseaux pirates. Kim Dotcom tombe dans le domaine du piratage crapuleux, à mille lieues de l’idéalisme vertueux du CCC.

Les nineties: une décennie de coups et d’arnaques

Grâce à son arnaque aux codes téléphoniques, Kim se forge à seulement 18 ans une petite réputation dans l’underground berlinois. C’est à cette période qu’il change pour la première fois de nom. Il se fait maintenant appeler Kimble. Un surnom inspiré du personnage principal d’une vieille série: Le Fugitif.

Le 21 décembre 1992, quand le magazine Forbes consacre un dossier au mouvement pirate, c’est ce même Kimble, attirant sciemment les micros, que les journalistes choisissent comme porte-parole d’un mouvement qui inquiète l’opinion. Dans l’article, Kim fanfaronne. En plein egotrip, il survend ses capacités en informatique, nargue même les autorités allemandes et se moque du retard des lois en matière de piratage dans le pays.

En quelques mois, le géant allemand aurait amassé plus de 200.000 dollars (178,6 d'euros) avec son filon de codes téléphoniques. Les chiffres sont évidemment invérifiables mais il n’en demeure pas moins que les sommes engrangées par l’ex-gamin pauvre de Kiel permettent à ce dernier de se doter d’ordinateurs à la pointe mais surtout de mener les prémices d’une vie bling-blig.

Il se joue alors quelque chose de l’ordre de la revanche. Avide de sensations extrêmes, Schmitz, alias Kimble, abandonne peu à peu sa carapace de nerd pour se transformer en un curieux personnage show off À cette époque, des photos le montrent régulièrement rouler à des vitesses excessives, musique à fond, sur les autoroutes allemandes. Tout se passe comme si ce dernier voulait rattraper son adolescence triste et ennuyeuse en prenant des risques insensés.

Kim Dotcom en 2013. | Michael Bradley / AFP

Premiers déboires, première renaissance

Sans surprise, ces déclarations dans la presse ont attiré le regard des autorités allemandes. À la fin de l’année 1994, la police fait une descente dans son appartement. Quelques 80.000 dollars (71,5 millions d'euros) de matériel sont saisis et le pirate est jeté en prison.

Étonnamment, après trois mois passés en détention provisoire, Kim n’écope que d’une peine de deux ans de prison avec sursis. Il faut dire que l’époque est laxiste. La justice méconnaît ce nouveau genre de méfaits numériques et Schmitz parvient à sortir libre du tribunal.

Revenu à la case départ, ce dernier cherche alors immédiatement se refaire une santé financière. Il décide de changer de costume et monte sa propre société: Data Protect. Voici l’astuce: après avoir exposé les failles des systèmes de sécurité de diverses entreprises, Schmitz leur vend ses services de protection et promet de sécuriser leurs données confidentielles et d’empêcher toute intrusion numérique.

Le bluff va fonctionner au-delà des espérances du jeune chef d’entreprise. En un rien de temps, la compagnie aérienne Lufthansa, l’opérateur téléphonique Vodafone, le constructeur automobile Daimler et même la Bourse allemande acceptent le deal bancal du hacker. Le business repart de plus belle et permet à Dotcom d’investir avant tout le monde dans une sphère en plein boom internet.

En pleine folie du .com, Kim créé alors deux start-ups: Monkey AG (qui propose une solution de paiement en ligne via le téléphone mobile) et MegaCar (service permettant de capter de l'internet haut-débit dans sa voiture). L’une comme l’autre promettent monts et merveille, en dépit de la technologie balbutiante de l’époque. Pourtant, au-delà des belles promesses et des communiqués de presse ambitieux, rien n’aboutit.

Qu’à cela ne tienne. Dans la presse de l'époque, l’allemand affiche une fortune qui varie entre 100 et 200 millions d'euros au gré des interviews. Des résultats financiers volontairement vagues, à nouveau invérifiables.

Délit d’initié et Megaupload: l’euphorie bling-bling des années 2000

L’histoire de Kim Dotcom est faite de ces coups improbables, de cette série infinie de chutes et de renaissances et des multiples réinventions égotiques et rocambolesques qu’elles induisent. Air du temps oblige, de «Kimble», Schmitz passe donc à «Dotcom».

Conscient du pouvoir de l’image, il se construit une identité de géant hédoniste. Le voilà en outsider généreux, profitant de la vie tout en brassant des millions. On le voit à Monaco, à bord d’hélicoptères et de yachts. Dans des piscines avec des bimbos aux seins refaits. Une équipe de production le suit alors pas à pas, filme son quotidien kitchissime et surfait.

En 2001, il participe au rallye des célébrités Gumball 3000 alors diffusé sur MTV. En 2002, patatras. Notre héros connaît de nouveau des déboires avec la justice allemande. Qui lui lui reproche un délit d'initié et une manipulation de cours lui ayant permis d'engranger plus de 1,2 million de dollars (1,07 millions d'euros). Alors qu’il avait tenté de fuir vers Bangkok, Dotcom est ramené à Munich et condamné à 100.000 dollars d'amende et vingt mois de prison avec sursis.

L’Asie devient néanmoins un nouvel eldorado. C’est à Hong Kong qu’il hébergera l'essentiel des activités de la plateforme Megaupload. Un service constituant «sans aucun doute l’un des derniers endroits du web où planait un parfum de liberté et de rébellion, où le travail de la communauté allait dans le sens d’un partage total et intégral de la culture pour tous, pas seulement quelques initiés au courant des dernières astuces de pirates», explique Xavier Eutrope dans les Inrocks.

«Le principe était assez simple, reprend ce dernier. N’importe qui pouvait, gratuitement, se créer un compte et mettre en ligne des fichiers. Si les utilisateurs premium bénéficiaient de capacités de stockage infinies, les personnes utilisant un compte basique pouvaient utiliser 200Go de stockage sans rien débourser, ce qui semble aujourd'hui totalement fou.» Par la suite, des liens de partage étaient générés. Comme dans un supermarché où tout se trouve soudain à portée de clics, ces liens étaient classés par listes.

Et maintenant?

On connaît la suite. Une énième (et spectaculaire) arrestation. Le gel des avoirs du géant allemand. Un procès ruineux qui fait peser sur ses larges épaules la menace d’une extradition vers les États-Unis. Cette procédure accusant Dotcom de fraude, de racket et de blanchiment, si elle aboutissait, verrait le fondateur de Megaupload risquer jusqu’à vingt années de réclusion.

Face à cet horizon qui s’assombrit, la dépression guette. Dotcom qui, jusque-là, prenait un malin plaisir à faire exister le personnage de super-vilain de bande dessinée qu’il a construit au tournant des années 2000, ne s’amuse plus. Il se referme sur lui même et s’exprime sur les réseaux sociaux avec une envie toute relative.

Pire, sa tentative de recyclage politique en chevalier blanc de l'internet libre aux cotés de Julian Assange et d’Edward Snowden lors des élections législatives néo-zélandaises de 2014, a lamentablement échoué. À moins d’un incroyable retournement de situation, pour Dotcom, c’est désormais le game over qui guette.

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