Ressusciter l'ensemble des défunt·es et donner l'immortalité aux vivant·es: tel est le projet de société conçu par le philosophe orthodoxe Nikolaï Fiodorov (1829-1903), maître à penser du mouvement cosmiste russe.
De son vivant, Fiodorov a influencé les théoriciens du marxisme et certains des grands écrivains russes, comme Léon Tolstoï et Fiodor Dostoïevski. Les Frères Karamazov reflètent par exemple les idées du philosophe sur la résurrection.
Pour Fiodorov, «les vivants devaient être rajeunis, les morts ressuscités et l'espace colonisé» pour accueillir cette population supplémentaire, explique Vice. Après sa mort, ses idées ont été rassemblées par ses disciples dans un ouvrage, Philosophie de la cause commune.
Les héritiers de Fedorov sont nombreux. Alexandre Bogdanov, cofondateur du parti bolchevik avec Lénine, croyait comme Fiodorov que l'on pouvait prolonger l'existence grâce à des transfusions de sang.
Constantin Tsiolkovski, considéré comme le fondateur de l'astronautique moderne et le père du programme spatial soviétique, souhaitait coloniser d'autres planètes pour y loger les défunt·es ressuscité·es.
Enfin, le chronobiologiste Alexandre Tchijevski, qui a étudié les effets du Soleil sur la Terre, pensait que ses recherches aideraient à créer une société idéale pour accueillir... les personnes mortes ramenées à la vie.
Transhumanisme égalitaire
Le mouvement cosmiste partage des traits avec le transhumanisme mais s'inscrit dans une perspective différente: la majorité des transhumanistes n'envisagent l'immortalité et la colonisation de l'espace que pour une minorité d'individus privilégiés.
Pour les cosmistes, les défunt·es ont des droits au même titre que les autres êtres humains, et l'ensemble de l'humanité devrait œuvrer collectivement pour obtenir les moyens technologiques de réaliser la résurrection, l'immortalité et la conquête spatiale, afin que les mort·es puissent (re)vivre sur des «planètes-musées».
Si le cosmisme, philosophie à la fois chrétienne et rationaliste, implique de dépasser les limites de l'humanité grâce à la science, il ne vise pas à faire de nous des surhommes libertariens, mais à créer une société juste et égalitaire.
Après la chute de l'URSS, certaines idées du cosmisme ont néanmoins été reprises en Russie par des idéologues plus réactionnaires, qui souhaitent unir la science et la religion.