Vers 8h30, le 30 décembre 2019, l'épidémiologiste américaine Marjorie Pollack reçoit un email d'un contributeur régulier de ProMED, le site de veille épidémiologique pour lequel elle travaille en tant que rédactrice en cheffe adjointe.
Celui-ci fait mention d'un «avis urgent concernant le traitement d'une pneumonie de cause inconnue», émis quelques heures plus tôt par le Comité de la santé municipale de Wuhan, et qui a été rapidement relayé sur le réseau social chinois Weibo.
Des messages comme celui-ci, ProMED en reçoit tous les jours, en provenance des quatre coins de la planète. Ses membres écument en effet les réseaux sociaux, les journaux locaux, les annonces des services de santé à la recherche d'informations concernant l'émergence d'éventuelles épidémies.
Les équipes du site (environ cinquante personnes employées à mi-temps), dont la grande majorité provient du monde médical ou du secteur de la santé publique, ont alors à charge de confirmer ou d'infirmer les informations recueillies.
Ce 30 décembre 2019 après une vérification minutieuse, ProMED relaie aux alentours de minuit l'apparition de cette pneumonie non identifiée: il s'agirait de la première mention sur un média occidental de ce que l'on appellera plus tard le Covid-19.
Si la recherche pour l'identification du patient zéro continue aujourd'hui, il semblerait que le tout premier cas, lui, soit d'ores et déjà connu. Un résident d'Hubei âgé de 55 ans aurait contracté les premiers symptômes du Covid-19 le 17 novembre, d'après de nouvelles informations du quotidien hongkongais South China Morning Post, relayées par le quotidien suisse Le Temps.
Externalisation ouverte
ProMED a été crée en 1994 par trois scientifiques, John Payne Woodal, Stephen Morse et Baraba Hatch Rosenberg. L'organisme fut l'un des premiers projets à promouvoir le recours à la veille internet citoyenne dans le pistage des épidémies, ce que l'OMS classifie aujourd'hui dans la catégorie des «informations épidémiologiques issues de l'externalisation ouverte».
Le site ProMED a notamment fait parler de lui en février 2003, date à laquelle il publia le premier bulletin d'information occidentale sur l'épidémie émergente de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère). Il fut aussi le premier à signaler l'apparition en 2012 du MERS-CoV (Coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient). Il permit également de pister les cas d'autres maladies à virus telles que Zika, Nipah ou Ebola.
D'après le rédacteur en chef et médecin Larry Madoff, ProMED est particulièrement efficace «dans l'identification rapide des chaînes d'événements», qui fait parfois défaut aux acteurs traditionnels de la Santé publique.
Libre d'accès, abondamment suivi par les autorités sanitaires et enregistrant près de 83.000 abonné·es à ses mails, le site a déjà largement prouvé son rôle de lanceur d'alertes. Il est pourtant peu financé: peut-être est-il temps de se pencher sur l'importance de son action, passée comme future.