2021. SpaceX envoie des hommes vers la Station spatiale internationale pour le compte de la NASA. Ses fusées Falcon 9 enchaînent lancements et réutilisations sans le moindre hoquet, constellant l'orbite terrestre de satellites, notamment ceux de Starlink.
Avec son imposante fusée Starship, l'entreprise prépare déjà les horizons humains sur Mars, signe des contrats avec le Pentagone pour transporter ses troupes en soixante minutes sur n'importe quel point du globe, envisage la création de spatioports flottants géants pour la suite de ses opérations.
Bref, SpaceX est devenu un mastodonte de l'espace contre lequel il est difficile de lutter, même lorsqu'on s'appelle Jeff Bezos et que l'on dispose de fonds quasi illimités.
Difficile donc d'imaginer aujourd'hui qu'il y a moins de vingt petites années, SpaceX luttait littéralement pour sa survie sur une petite île du Pacifique nommée Omelek, dans l'atoll de Kwajalein, où ses équipes campaient, vivaient et bricolaient dans un surprenant dénuement, tels des Robinson Crusoé cherchant non à rejoindre d'autres rivages mais d'autres planètes.
C'est ce que raconte le livre Liftoff: Elon Musk and the Desperate Early Days That Launched SpaceX d'Eric Berger, dont Ars Technica (site pour lequel il écrit) et Business Insider reprennent les bonnes feuilles et meilleures anecdotes.
«En trois ans, [les ingénieurs] ont appris à survivre dans un environnement tropical, et même à apprécier la vie insulaire. Certaines leçons ont néanmoins été apprises dans la douleur», énonce ainsi Berger dans son ouvrage.
Les révoltés d'Omelek
Absence de toilettes et d'eau courante dans les premiers temps, manque de médicaments, coups de soleil infernaux, accident comique de la voiturette de golf «merdique» que certains membres de l'équipe utilisaient pour se déplacer sur une île dont on faisait pourtant le tour en quelques minutes à pied, menace permanente des crabes de cocotiers, cuisine approximative: le passage repris par Ars Technica relate la drôle de vie, faite de bric, de broc et d'autogestion inventive, menée par ces nouveaux pionniers de l'espace.
L'île d'Omelek a initialement été choisie pour échapper à l'US Air Force, qui refusait à SpaceX le privilège de lancer ses premières fusées depuis la Californie. La firme alors naissante était prise dans une course contre la montre et contre l'argent qui fond au soleil des Îles Marshall.
Chacun de ses premiers lancements, chacune de ses visées orbitales pouvait signifier un avenir solide ou l'effondrement de tout espoir. Le passage repris par Ars Technica raconte ainsi l'effondrement moral de l'intégralité des équipes, sur Omelek comme en Californie, lorsque le troisième vol de Falcon 1, le 3 août 2008, s'est avéré être un nouvel échec, mettant sérieusement en péril l'avenir de l'aventure.
Il faudra attendre le quatrième lancement, le 28 septembre de la même année, pour que la première fusée de SpaceX atteigne enfin une orbite terrestre –une première pour un engin financé par des fonds privés.
Cette pression, ajoutée aux conditions de vie difficiles des équipes sur Omelek, n'ont pas manqué d'engendrer quelques grandes tensions. Selon l'une des personnes interrogées par Berger, les membres de l'équipe insulaire estimaient trimer «comme des esclaves».
Ces tensions étaient si fortes que les forçats de l'espace ont fini par se mutiner lorsqu'ils ont été privés de nourriture par la logistique bancale de leurs employeurs.
Épuisés par leur tâche, sortant d'une grosse réprimande collective, les ingénieur·es ont appelé leur supérieur, Tim Buzza, pour lui annoncer le début d'une grève. Celle-ci ne s'achèverait que lorsque l'île serait à nouveau approvisionnée en poulet et en cigarettes, ce qui fut fait par hélicoptère. Du poulet et des cigarettes: voilà peut-être à quoi tient le glorieux succès actuel de SpaceX.