À chaque époque ses paniques morales, alimentées par des innovations plus ou moins technologiques. Lors des premiers bébés-éprouvette à la fin des années 1970, les journaux du monde entier s'alarmaient d'une disparition prochaine de la sexualité.
Dans les années 1980 et 1990, les psychologues et les éducateurs et éducatrices craignaient l'apparition de problèmes moteurs chez les enfants ayant aux pieds des chaussures à scratch et non à lacets. De fait, l'enfance et l'adolescence sont d'excellents catalyseurs à flippe sociétale –quid des jeux de rôle qui allaient rendre tout le monde sataniste?
Aujourd'hui, ce sont les réseaux sociaux et, plus généralement, le temps passé devant un écran que l'on accuse de nuire à notre santé mentale, voire carrément d'être en train de tuer à petit feu une génération.
Facebook, pas pire que la patate
Après une première vague d'études semblant effectivement confirmer un lien préoccupant entre réseaux sociaux et détérioration psychologique de la «iGen», soit les individus nés aux alentours de 1995, l'heure est à la perplexité: et si ces analyses souffraient de défaillances méthodologiques incitant à prendre leurs conclusions avec de très grosses pincettes?
En début d'année, deux conséquentes études menées par deux chercheurs et une chercheuse en psychologie expérimentale et sciences de l'information travaillant notamment à Oxford concluaient que «les liens entre utilisation des réseaux sociaux et satisfaction dans la vie sont [...] plus nuancés qu'on ne le supposait auparavant: ils sont contradictoires, peuvent dépendre du sexe et varient considérablement selon la façon dont les données sont analysées. La plupart des effets sont minuscules, sans doute triviaux et quand les meilleures pratiques statistiques sont suivies, ils ne sont pas significatifs dans plus de la moitié des modèles».
À titre d'exemple, les scientifiques impliqué·es dans ces recherches estimaient que l'effet négatif des réseaux sociaux sur le bien-être mental des adolescent·es ne surpassait pas celui d'une alimentation riche en pommes de terre.
En passe d'être publiée dans la revue Computers in Human Behavior, une nouvelle étude enfonce le clou. Grâce au suivi de 500 jeunes pendant huit ans, soit de leurs 13 à 20 ans, et une méthode permettant de mixer les données entre sujets et chez un même sujet, cinq scientifiques sous la direction de Sarah Coyne estiment qu'il n'est pas possible d'établir de lien de causalité entre fréquentation des réseaux sociaux et augmentation des symptômes dépressifs et anxieux.
Pour Coyne et son équipe, l'association entre temps d'écran et santé mentale a tout d'une «panique morale» et les scientifiques espèrent que leurs résultats puissent inciter leurs collègues à se pencher davantage sur «le contexte et le contenu entourant l'utilisation des médias sociaux et les nombreux autres facteurs susceptibles d'expliquer l'augmentation des problèmes de santé mentale à l'adolescence et à l'âge adulte».