Les réseaux sociaux bouleversent notre storytelling personnel. | Matthew Henry via via Unsplash
Les réseaux sociaux bouleversent notre storytelling personnel. | Matthew Henry via via Unsplash

Les réseaux sociaux nuisent-ils à nos rapports amicaux dans la vie réelle?

Posts et stories modifient activement les discussions entre camarades –et pas simplement sur internet.

En 2018, plus de la moitié de la population française, 58% très exactement, a utilisé les réseaux sociaux. On comptait par exemple 25,9 millions de visites uniques par jour sur Facebook, 7,3 millions sur Instagram, 8,2 millions sur Snapchat.

Mais si la durée quotidienne moyenne passée sur ces médias est d'une heure et dix-sept minutes, les réseaux sociaux sont encore plus intégrés que nous le croyons dans nos vies. Forcément, ils modifient la façon dont nous communiquons avec nos proches, en y instillant une dimension numérique. Mais ce n'est pas qu'une question de forme: ils impactent aussi sur le fond les conversations amicales dans la vraie vie.

Références partagées (ou non)

Les posts et stories, que l'on peut suivre passivement sur ces médias, ne suppléent en rien les discussions IRL, comme le signale le chercheur à l'Université du Luxembourg Andreas Heinen dans un article sur la question, «Social Media and Its Role in Friendship-driven Interactions among Young People: A Mixed Methods Study» (Les médias sociaux et leur rôle dans les interactions amicales entre les jeunes: une étude sur les méthodes mixtes).

«La plupart des interactions entre pairs sont composites, une communication en face à face est combinée à des communications écrites, en ligne», est-il indiqué, ne serait-ce que parce que «les contacts que les jeunes ont offline, ils les ont aussi online». La discussion se poursuit, de manière fluide, quel que soit le médium.

Reste que, parfois, les réseaux sociaux peuvent faire obstacle aux bavardages offline. Question de référentiel. En témoigne Guillaume*, 31 ans, assistant parlementaire qui, contrairement à l'intégralité de ses camarades, n'a pas de compte Instagram. «On se sent un peu “left out” quand les mecs disent “Ah ouais, Machin, t'as vu ce que Trucmuche a posté?”»

Pas tout à fait la même sensation que d'entendre, par exemple, un·e ami·e parler à un·e autre de Meghan, Harry et Archie alors que l'on n'a jamais suivi l'actualité de la famille royale britannique. Car Guillaume n'évoque pas seulement les commérages au sujet des dernières occupations de stars connectées, mais également les réactions IRL aux activités de ses ami·es partagées sur les réseaux.

Gare au radotage

Le problème ne réside pas dans un défaut de connexion internet lors de ce qui a fait office de discussion, qu'il s'agisse d'une photo sur Instagram ou d'un post sur Facebook et des likes, cœurs et commentaires qui suivent. Après tout, pas besoin des réseaux sociaux pour que des ami·es discutent en notre absence!

Il ne s'agit pas d'une conversation privée dont on a conscience qu'il faudrait informer un tiers absent, afin qu'il soit mis à la page: les posts étant publics ou restreints aux followers, on présuppose (inconsciemment) que tout le monde est au courant.

Guillaume avait ainsi flashé, en présence de deux copines, sur un serveur. Ne sachant si ce dernier préférait les filles ou les garçons, chaque membre de la petite bande lui avait laissé son numéro. Trois semaines plus tard, Guillaume retrouve ses amies: «Je leur dis “Au fait, moi, il m'a jamais appelé, est-ce que vous avez eu des nouvelles?”» Et ses copines, étonnées, de lui apprendre qu'il avait raté un truc: elles avaient retrouvé le beau serveur sur Instagram, lui avaient envoyé des messages et avaient même fait une story de ces essais infructueux.

Résultat: avoir d'ores et déjà raconté sa soirée, son week-end ou ses vacances sur internet donne quelquefois l'impression de devoir se répéter. Ce qui peut écourter la discussion. «À chaque fois que je demande à mes potes “Alors, c'était comment les vacances?”, j'ai limite l'impression de les emmerder car tout est déjà en ligne», complète Guillaume.

Exemple frappant: l'une de ses très bonnes amies est partie en voyage pendant plusieurs mois en Asie. Durant son périple, ils sont bien sûr restés en contact mais, à son retour, comme elle n'avait rien posté sur Facebook, il a demandé à voir quelques photos. «Elle m'a dit: “Tout est sur Insta, j'ai fait des stories tous les jours!” Je vais pas dire que ça l'agaçait mais c'était un peu en mode “Mec, mets-toi sur Insta!”»

Quand vous rentrez de vacances, vous connaissez presque tout ce qu'ont vécu vos amis parce qu'ils l'ont posté sur Facebook ou Instagram et vous vous dites «J'ai déjà vu ça…»
un jeune interrogé par Andreas Heinen, chercheur à l'Université du Luxembourg

Pas besoin de ne pas être membre d'un réseau social pour que les posts et stories viennent bouleverser la discussion en y infusant cette impression de redondance, y compris du côté des followers, et parfois même en amont.

«Les réseaux sociaux peuvent rendre des sujets de conversation hors ligne superflus», écrit ainsi le chercheur de l'Université du Luxembourg, en s'appuyant sur le témoignage d'un jeune: «Quand vous rentrez de vacances, vous connaissez presque tout ce qu'ont vécu vos amis parce qu'ils l'ont posté sur Facebook ou Instagram et vous vous dites "J'ai déjà vu ça…" C'est souvent comme ça; les sujets de discussion disparaissent à cause des réseaux sociaux.»

Alexis, journaliste de 26 ans, l'a lui aussi expérimenté. Parce qu'il est très bavard, sur Instagram comme IRL. Et qu'il ne sait pas toujours ce qu'il a mis dans ses stories, ni qui les a regardées. Il lui est ainsi arrivé une ou deux fois, alors qu'il voulait retracer un événement, qu'on l'arrête d'un cinglant «Ah oui, j'ai vu ta story!»

«Toi, t'as plus rien à raconter et la personne en face se rend compte qu'elle t'a mis mal à l'aise. Il y a un blanc un peu gênant», confie-t-il.

Titiller la curiosité

La plupart du temps, pourtant, le jeune homme apprécie l'influence de sa présence numérique dans ses conversations IRL. «Au début, j'avais peur que ça leur fasse leur dose suffisante d'Alexis. En fait, non, c'est positif. Comme je poste pas mal de stories, c'est un peu un accélérateur de conversation: je peux raconter mon histoire et les gens ont déjà le contexte.»

Idem pour Éva*, 24 ans, également journaliste. «Mes amis peuvent me dire “Ah oui j'ai vu sur Instagram”, mais ils vont me poser des questions, développer, pas couper court au sujet.»

C'est bien ce qu'avait relevé le sociologue luxembourgeois dans son article: «De récentes études montrent que […] les interactions hors ligne ne sont pas supplantées mais bien plutôt complétées par les interactions en ligne.»

Au lieu de me demander «Alors, ton week-end s'est bien passé?», on va me dire «J'ai vu que tu étais à tel endroit, c'était bien?»
Eva, 24 ans, journaliste

Cette envie de détails est telle que les ami·es d'Alexis comme d'Éva vont parfois spontanément engager la conversation sur quelque chose qu'ils ont vu de manière parcellaire en ligne.

«Au lieu de me demander “Alors, ton week-end s'est bien passé?”, on va me dire “J'ai vu que tu étais à tel endroit, c'était bien?”», illustre Éva, pour qui les stories sont souvent le point de départ de conversations. «Par exemple, cette semaine, un collègue m'a demandé comment était un concert dont j'avais partagé une vidéo.»

Encore faut-il ne pas trop en dire sur les réseaux pour souhaiter en discuter ensuite ou pour susciter l'envie d'en savoir plus du côté des destinataires. «Sur mes stories, j'écris très rarement, je ne donne pas mon avis, c'est davantage quelque chose que je développe au cours des conversations IRL», détaille Éva.

«J'ai des amis, sur un truc, ils ont fait dix stories avec plein de textes différents, ajoute Alexis. J'ai peut-être inconsciemment adapté ma manière de poster: je ne mets pas le cœur de l'histoire que j'ai envie de raconter.» L'idée n'est pas de préserver consciemment le suspense pour que les questions affluent, juste de ne pas s'autosaboter.

Car si l'on aime partager son quotidien à l'aide de multiples stories, on a aussi tendance à ne pas vouloir s'aliéner son auditoire, afin de garder le plaisir de raconter oralement des histoires.

* Les prénoms ont été changés.

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