Freud appelait ce phénomène le «narcissisme des petites différences». Plus les gens sont semblables, plus ils ont tendance à se détester. Faites le test autour de vous. Dans quels groupes trouvez-vous le plus haut degré de conflictualité? Les chances sont élevées que ce soit là où les individus ont davantage de points communs que de lignes de faille. Cette tendance a son inverse: plus vous êtes noyé dans la dissemblance, plus vous serez enclin à détecter chez autrui la moindre petite affinité et à vous y accrocher pour tisser des liens.
Dans une réflexion sur l'existence des extraterrestres, l'astrophysicienne Evgenya Shkolnik, faisait ainsi remarquer qu'en nous pensant seul·es dans l'univers «nos perspectives demeurent étroites et individualisées. En sachant que nous sommes une forme de vie parmi d'autres, à mon avis, nous nous sentirions moins divisés. Par exemple, là tout de suite, ce qui vous distingue de votre voisin le plus crispant vous saute sans doute aux yeux. Mais imaginez-vous largués dans un pays lointain, où vous êtes les seuls à parler votre langue, et il est bien possible que ce même voisin vous paraisse plus affable. L'existence d'un “eux” change le “nous” pour toujours».
Panhumanisme
En passe d'être publiée dans la revue American Psychologist, une étude menée par Joshua Conrad Jackson, Noah Castelo et Kurt Gray explore ces mêmes dynamiques sociales quand elles concernent non pas des aliens, mais des robots et des humains.
Le premier chercheur est spécialiste du développement historique de la culture humaine, de l'impact de celle-ci sur la cognition et le comportement et du rôle des différences culturelles dans les conflits entre groupes. Le second s'occupe notamment de psychologie de la technologie et de l'intelligence artificielle à la business school de l'université de l'Alberta et le troisième enseigne la psychologie cognitive et sociale à l'université de Caroline du Nord à Chapel Hill, où il a le premier comme collègue.
Ensemble, et grâce à six expériences rassemblant un total de 3.312 personnes, ils observent que plus les humains ont l'impression de devoir partager leur planète avec des «travailleurs robotisés», moins ils mettent en œuvre de biais, de préjugés et de discrimination à l'encontre de leurs congénères en chair et en os.
Plus précisément, les scientifiques montrent combien la peur est le carburant de ce phénomène: plus nous flippons à l'idée d'être remplacé·es par des machines, plus les mêmes différences religieuses ou ethniques qui nous divisaient un peu plus tôt semblent comme effacées par l'effet d'un «panhumanisme», soit la perception d'une identité humaine commune.
Par exemple, les cobayes de Jackson et al. ont ainsi moins de mal à accepter qu'une personne qui leur est très différente les dirige ou fasse partie de leur famille et, dans un jeu économique, ces personnes se montrent bien plus égalitaires quant à la rémunération de leurs collègues fictifs.
La leçon à en tirer est on ne peut plus archaïque: nous ne nous sentons jamais plus unis que lorsque nous nous croyons confrontés à un même ennemi.