C'est un article étonnant voire édifiant que consacre le New York Times aux «trash pickers» de San Francisco. Il s'agit de ces personnes qui, dans une ville reconnue pour ses efforts en matière de recyclage, entassent canettes vides et cartons usagers dans des chariots éraillés pour aller se faire quelques maigres dollars en revendant leur pauvre butin à une quelconque officine de consigne officielle.
Le New York Times s'intéresse aux «archéologues de poubelles» d'un nouveau genre, celles et ceux qui visent en particulier les containers des millionnaires de la tech qui ont pris d'assaut, en masse et avec force dollars, les belles et coûteuses demeures de la ville.
Le journal américain suit en particulier Jake Orta, vétéran de la United States Air Force devenu SDF, désormais relogé dans une très modeste cahute située à quelques encablures de la maison de Mark Zuckerberg, évaluée à 10 millions de dollars.
D'un extrême à l'autre
Il explore ainsi les deux extrêmes du capitalisme américain, les déchets de son sommet nourrissant à peine les pauvres âmes qu'il laisse à la traîne. Les 300 dollars que Jake Orta essaie de rapporter chaque semaine, il ne les trouve pas dans les canettes et les cartons. Ses trouvailles sont à la démesure de la ville et de son économie: il a, à l'occasion de ses «chasses aux trésors», découvert des vêtements de designer, des baskets neuves, des iPad, des téléphones, un service complet de vaisselle en argent et même des sacs de marijuana, qu'il avoue avoir fumée.
«Nous avons beaucoup de service dédiés aux déchets», explique au New York Times Robert Reed, porte-parole de la société locale de recyclage Recology. «Il y a de plus en plus de monde de la tech ici, et la ville change de plus en plus vite. Ces personnes ont une capacité d'attention courte. Certains jettent des objets qui pourraient être remis en circulation dans un magasin d'objets de seconde main.»
À la place, ces déchets constituent une petite manne et, surtout, un moyen de subsistance pour Jake Orta et les «trash pickers» qui, comme lui, dépendent des détritus dorés des millionnaires du coin. Les objets extraits des bennes sont vendus sur Mission Street ou dans le quartier plutôt malfamé de Tenderloin lors de marchés organisés à la sauvette.
Photographe australien et éditeur de Mission Gold, publication qui documente les existences de ces misfits san-franciscains, Nick Marzano voit l'action de ces «trash pickers» comme un «service public». Et, explique le New York Times, comme une forme primitive d'entrepreneuriat: une manière un peu cynique de boucler la boucle du marché à l'américaine.