Quelques années après Cube, le cinéaste canadien Vincenzo Natali réalisait Nothing, étrange film-concept dans lequel deux compères font peu à peu disparaître le monde extérieur, pour se retrouver finalement au sein d'un monde totalement vide, représenté uniquement par du blanc –et finissaient eux-mêmes par se dissoudre peu à peu.
C'était peut-être la première fois qu'un réalisateur essayait de matérialiser le concept de «rien». Il n'y est pas, pour autant, pleinement parvenu (puisque la couleur blanche, ce n'est pas exactement rien).
Popular Mechanics s'intéresse à cette notion pour le moins insaisissable, puisque, sans vouloir singer Raymond Devos (auteur d'un sketch intitulé «Parler pour ne rien dire»), rien, c'est quelque chose, donc ça n'est pas rien.
Les philosophes se sont bien sûr emparés du concept, à l'instar de Roy Sorensen, auteur d'un ouvrage intitulé Nothing – A Philosophical History. Il y développe l'idée du rien sous plusieurs angles: le rien absolu, le rien scientifique, le rien potentiel. Et le décrit comme le début et la fin de tout. Il semblerait que sur ce sujet, la philosophie et l'humour ne cessent de converger, comme si le rien était si vertigineux et angoissant qu'il valait mieux –aussi– en rire.
Ainsi, si le paradoxe des trous dans le gruyère est assez prisé des fans de galéjades option Almanach Vermot, d'autres concepts voisins sont développés avec le plus grand sérieux par Roy Sorensen, tel que celui de l'éponge, qui lui permet d'expliquer comment «rien» se matérialise.
«Les trous dans l'éponge sont une absence d'éponge! Les trous sont ce qui permet à l'éponge d'absorber le liquide. L'éponge ne peut exister sans les trous. Mais les trous ne peuvent pas “exister” sans l'éponge. Les trous sont des parasites qui dépendent de leur hôte.» Une affirmation qui, selon Popular Mechanics, est éminemment contestable.
Le rien quantique
Très populaire dans le domaine de la physique parce qu'elle permet de réaliser des prédictions précises et exactes sur tout un tas de phénomènes, la théorie quantique des champs affirme que notre univers n'est pas fait de matière flottant dans un espace vide. Au contraire, nous vivrions dans un univers fait de champs énergétiques qui se répandent et interagissent entre eux, créant tout ce que nous pouvons voir et connaissons –mais aussi tout ce que nous ne pouvons pas voir et ne connaissons pas. Des particules virtuelles, donc; mais pas exactement du rien.
Avant le Big Bang, il n'y avait rien, et ce rien, nous n'en savons rien. Nous ne sommes pas non plus en mesure de comprendre la nature de ce rien-là. Les physiciens ignorent pourquoi, après le Big Bang, des particules élémentaires ont survécu. Dans son livre A Universe from Nothing, le cosmologue Lawrence Krauss tente une explication en affirmant que le rien est instable par nature, et qu'il était donc fait pour dériver vers la création de particules. «Il s'agit réellement d'une question scientifique, plus que religieuse ou philosophique», affirmait Krauss dans un entretien accordé à NPR.
Cette déclaration a fait polémique: les philosophes ont vu rouge, et certains ont fini par se fendre de critiques assassines de son ouvrage. Car selon eux, il y a plus d'une question d'ordre philosophique liée à la question du rien, et notamment celle-ci: existe-t-il, dans un univers ou un autre, un monde fait de rien absolu, c'est-à-dire même pas constitué de particules virtuelles?
Roy Sorensen et Lawrence Krauss ont longuement débattu sur le sujet. Leur conclusion est la suivante: la seule certitude qu'ils ont, c'est d'être dans le doute. Ça ne fait jamais de mal de citer Pierre Desproges, qui aurait sans doute eu une opinion sur le sujet.