C'était l'alternative miracle: «Plutôt que de fumer, vapotez!» Lancées dans les années 2010, les cigarettes électroniques ont rejoint l'arsenal de lutte contre le tabagisme (patchs, chewing-gums...) et séduit bien des fumeurs et des fumeuses désireuses de couper le cordon ombilical qui les liait à leur tige.
Tout un marché s'est développé et les fabricants ont rapidement brandi des études favorables, affirmant toutes que «la cigarette électronique est 95% moins dangereuse que la cigarette».
Premières inquiétudes
Mais depuis quelques mois, le soufflé retombe. Premier déboire en avril dernier, comme le note Quartz. La Food and Drug Administration (FDA) a lancé une enquête à la suite de trente-deux cas de convulsions liés au vapotage. Parallèlement, les hôpitaux ont enregistré de multiples cas de maladies pulmonaires chez des vapoteurs.
Depuis, les deux phénomènes ont pris de l'ampleur: en août, 127 cas de convulsions ont été répertoriés par la FDA et plus de 400 personnes ont été hospitalisées pour des problèmes pulmonaires parfois graves. Les symptômes sont les suivants: difficultés respiratoires, souffle court, fièvre, vomissements, fatigue. Depuis le mois d'août, les autorités américaines ont relié six décès au vapotage.
De quoi semer un vent de panique... D'autant que depuis quelque temps, des recherches commencent à contredire l'innocuité de l'utilisation des e-cigarettes. Une étude américaine de 2018 affirme qu'elle double le risque d'attaque cardiaque, une autre conclut qu'elle peut augmenter le risque de maladie cardiovasculaire.
Quant à l'OMS, elle les qualifie d'«incontestablement nocives», bien que «moins toxiques que les cigarettes». Une affirmation qui a fait bondir nombre de scientifiques. L'OMS semble oublier que le vapotage aide des milliers de personnes à décrocher du tabac –elles seraient 700.000 en France.
Résultats comme études restent difficiles à interpréter à grande échelle. En cause: la diversité des produits et la diversité des liquides proposés à la vente, qui contiennent des additifs généralement validés pour la consommation alimentaire mais pas testés pour l'inhalation. Et personne ne connaît encore, sur le long terme, les risques de la cigarette électronique.
La vape pirate en cause
Dans l'affaire américaine, rien ne prouve encore que les troubles pulmonaires ou les convulsions soient directement liées à un vapotage classique. En ce qui concerne les troubles pulmonaires, il semble que les malades avaient une forte consommation et employaient des e-cigarettes trafiquées qui délivraient des doses de produit plus élevées.
De plus, les cartouches contenaient très souvent du THC –principe actif du cannabis– acheté sous le manteau, dans la rue ou sur des sites internet. L'innocuité de ces bootlegs de la vape semble donc contestable, et de récentes arrestations semblent pointer les responsabilités dans leur direction.
Une source interrogée par le Washington Post a rapporté que certaines cartouches fumées par les malades contenaient de la vitamine E. Bien que naturellement présente dans les aliments et tout à fait comestible, elle est potentiellement dangereuses en inhalation. «Une fois refroidie dans les poumons, elle ressemble à de l'huile», explique Michelle Francl, professeure de chimie au Bryn Mawr College.
Ces microgouttelettes finissent par encombrer les poumons, provoquant une réaction inflammatoire et des difficultés respiratoires. Toutefois, toutes les cartouches testées ne contenaient pas de vitamine E: il reste donc encore difficile de pointer du doigt un coupable certain. En attendant, la FDA conseille de lever le pied sur l'e-cigarette.
Un problème bien plus vaste
Cette recommandation va dans le sens de ce que souhaite le gouvernement américain, et ce avant même le surgissement de cette crise aiguë. Car la cigarette électronique connaît une popularité grandissante chez les ados, au point de faire des accros à la nicotine d'une population qui jusqu'ici n'avait jamais touché au tabac.
Alors que 1,5% des lycéen·nes avait vapoté en 2011 dans les douze derniers mois, 11% l'avaient fait en 2017 et 21% en 2018. Pour Jerome Adams, chirurgien général des États-Unis, cette passion pour le vapotage ainsi que pour la nicotine qui l'accompagne, potentiellement dommageable pour les cerveaux en développement, est officiellement «une épidémie nationale».
Une société est particulièrement dans le collimateur: Juul. Lancée en 2015 à San Francisco, la marque a conquis le cœur des adolescent·es. Sa présence sur les réseaux sociaux, ses parfums fruités et son design attractif l'ont rendue si populaire auprès des jeunes que la majorité ne fume que ça, et parle même de «juuling» pour qualifier l'action de vapoter.
La désinformation est telle que seul·s 37% des ados et jeunes adultes qui utilisent Juul savent que le liquide contient de la nicotine. Or, Juul rafle près de 70% du marché américain des cigarettes électroniques et pèse désormais près de 40 milliards de dollars.
L'entreprise a depuis largement revu son plan de communication pour se placer au cœur de la lutte contre le tabac: remplacer la cigarette plutôt que d'atteindre de nouveaux consommateurs. Pourtant, en décembre 2018, Altria, distributeur de Marlboro notamment, a récupéré 35% du capital de Juul.
Cette entrée dans le capital a de quoi inquiéter quant à la volonté affichée de limiter Juul aux fumeurs et fumeuses en sevrage, et raviver la crainte que Big Tobacco –qu'un projet de fusion entre Altria et Philip Morris pourrait consolider– ne débarque dans ce nouveau marché de l'addiction avec toute la puissance de sa stratégie marketing.
En attendant, l'administration Trump a décidé d'interdire les cigarettes électroniques aromatisées sur l'ensemble du territoire américain. Pour rappel, le tabagisme classique fait encore 8 millions de victimes chaque année dans le monde.