Fierté, cache-misère, ou les deux? | Zoltan Balogh / POOL / MTI / AFP
Fierté, cache-misère, ou les deux? | Zoltan Balogh / POOL / MTI / AFP

Spoutnik V, triomphe de Poutine et cache-misère de la science russe

Ce vaccin serait le reflet de la puissance scientifique du pays. La réalité est tout autre.

Lorsque le 11 août 2020, Vladimir Poutine a, très en avance sur la marche normale de la science, annoncé que son pays avait mis au point le «premier vaccin contre le Covid-19», quelques railleries ont fusé et peu ont pris ses déclaration bravaches au sérieux.

Six mois plus tard, la Russie connaît pourtant son heure de gloire avec l'annonce dans la prestigieuse revue The Lancet de l'efficacité du vaccin à 91%, supérieure à celle du vaccin d'AstraZeneca ou de Jonhson & Johnson. «Ce vaccin est sans doute la percée scientifique la plus importante pour la Russie depuis l'époque soviétique», estime même Bloomberg.

Spoutnik V (dont le nom évoque l'exploit soviétique du premier satellite dans l'espace et le V de la victoire) a été approuvé dans au moins vingt pays, dont la Hongrie, le Brésil et l'Inde. L'Union européenne, confrontée à une pénurie de vaccins, envisage elle aussi de lui ouvrir la voie.

Ce succès s'appuie sur une tradition vaccinale bien établie en Russie. Dans les années 1950 et 1960, l'Union soviétique était en pointe dans la vaccination contre la poliomyélite, rappelle Le Monde. Plus récemment, le centre Gamaleïa a développé un vaccin contre Ebola et contre le MERS, un autre coronavirus.

Mais en réalité, Spoutnik V (de son vrai nom Gam-COVID-Vac) est l'arbre qui cache la forêt. Ce vaccin reflète davantage la capacité de la Russie à l'improvisation scientifique qu'à l'élaboration d'une stratégie réfléchie, écrit ainsi le Washington Post.

Science approximative

Après la chute de l'Union soviétique, le financement de la science s'est effondré et les chercheurs russes ont afflué vers l'Ouest. Poutine a alors tenté de relancer la recherche en investissant des sommes considérables dans les universités et les laboratoires.

En 2018, il s'était engagé à créer 900 nouveaux laboratoires, dont 15 centres de recherche de classe mondiale en mathématiques, génomique, matériaux et robotique. Le 5 février dernier, un financement de 205 milliards d'euros d'ici à 2030 pour la science et la recherche médicale a été annoncé.

Malgré cela, la recherche russe reste largement à la traîne. «Le principal problème est la réglementation», estime Ilya Yasny, responsable de la recherche scientifique au fonds d'investissement Inbio Ventures basé à Moscou. «Nos lois et nos lignes directrices ont, je dirais, quinze ans de retard sur l'Union européenne.»

Selon lui, de nombreux développeurs de médicaments russes considèrent toujours la norme mondiale des essais cliniques comme des «obstacles inutiles».

La Russie est aussi en bas de liste des publications dans les grandes revues scientifiques internationales et une seule université russe a réussi à se placer dans le top 100 du Classement mondial des universités QS de 2021. En janvier 2020, les scandales entourant le plagiat et la duplication ont contraint l'Académie des sciences de Russie à annoncer le retrait de plus de 800 articles scientifiques.

Même Spoutnik V n'est pas assuré de connaître le succès annoncé. «L'institut Gamaleïa fait de la recherche, pas de la production à grande échelle. Ils ont passé des accords avec des fabricants locaux ou des producteurs internationaux de médicaments génériques mais il va être complexe de s'assurer de l'homogénéité du produit. Or, c'est aussi cela que regardent les agences de régulation», remarque la virologue Marie-Paule Kieny dans Le Monde. La Russie a peut-être clamé son triomphe un peu trop vite.

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