À la suite de la catastrophe du réacteur 4, alors que la zone est enfin évacuée, chiens, chats et autres animaux domestiques sont abattus et enterrés pour éviter les risques de contamination. Ils ne sont pas les seuls: arbres, villages, outils... tout est enseveli. On enfouit même la terre du site dans des boîtes en fer.
Autour de la centrale, c'est un spectacle de désolation à perte de vue. Symbole de cette dévastation, la Forêt rousse, qui tient son nom de la couleur écarlate des pins anéantis par les radiations est, aujourd'hui encore, l'une des régions les plus contaminées au monde.
Tchernobyl, un havre de la biodiversité?
En dépit de ce désastre écologique et selon de récentes études, la zone de Tchernobyl abriterait désormais une population pléthorique de loups, de sangliers, de cerfs et de chevreuils, sans oublier quelques ours qui ont refait leur apparition dans le paysage.
En 2002, un hibou grand-duc aurait même été aperçu, nichant sur une pelleteuse abandonnée, à quelques mètres seulement du sarcophage de béton qui recouvre le réacteur 4.
L'exemple le plus frappant reste celui du cheval de Przewalski, l'ancêtre des chevaux domestiques dont vingt-et-un spécimens, relâchés en 1981, semblaient promis à une mort certaine. On en dénombrerait pourtant aujourd'hui une petite soixantaine.
En 2006, un rapport du Forum de Tchernobyl (un panel d'expert·es travaillant sous l'égide de l'ONU, de l'OMS et de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique) concluait ainsi que la zone d'exclusion de Tchernobyl était en train de devenir un havre de paix pour la vie sauvage.
Ce rapport influença de nombreux documentaires, dont le très controversé Tchernobyl, une histoire naturelle? diffusé sur Arte en 2010. On y suit plusieurs scientifiques, dont le radioécologiste ukrainien Serguei Gaschack, qui étudie «l'insolente bonne santé» des mulots de Tchernobyl dans une végétation que la voix off décrit comme «exubérante», où les arbres ont repris leurs droits sur les HLM de la ville fantôme de Pripiat.
Bande-annonce du documentaire Tchernobyl, une histoire naturelle? de Luc Riolon.
Les oiseaux se sont tus
Apparaissant également à l'écran, Anders Pape Møller, chercheur au CNRS qui n'a pas du tout apprécié le documentaire. Depuis des années, il étudie les conséquences de la catastrophe sur la faune, notamment sur les hirondelles très touchées par la radioactivité et s'émeut de ne plus entendre le chant des oiseaux dans les forêts de Tchernobyl.
Il déplore que ces données scientifiques, comme le nombre exponentiel de cataractes ou de tumeurs chez les animaux sauvages, ne soient pas davantage montrées dans le film.
Quant aux petits rongeurs qui semblent en pleine forme, ils rencontreraient en réalité de graves problèmes reproductifs que le film passe sous silence. Pour un havre de la biodiversité, le paysage de Tchernobyl ne semble pas très diversifié. À l'instar de ses forêts, complètement décimées après la catastrophe, où ne poussent aujourd'hui quasiment plus que des bouleaux au génome résistant.
Interrogé au micro de France Culture en 2016, Anders Pape Møller est allé encore plus loin. Lorsque le présentateur lui a demandé s'il n'était pas troublé par les étonnants résultats mis en lumière par le documentaire, le scientifique a répondu, non sans une certaine ironie, que pour lui, «la chose la plus étonnante est que de nombreuses séquences filmées ne l'aient pas été dans la zone d'exclusion de Tchernobyl, mais en Allemagne».
Une accusation aussitôt contestée par le réalisateur du film qui, exerçant son droit de réponse sur le site de la radio, affirma que si les séquences animalières «avaient été effectivement achetées auprès d'une société de production allemande», elles avaient en revanche bel et bien été «tournées à Tchernobyl».
Quand l'humain n'est pas là, les souris dansent
Ce qui semble d'abord et surtout profiter aux animaux aperçus sur le site, c'est l'absence de l'être humain. Rares en effet sont les anciens territoires industriels ou résidentiels qui se retrouvent désertés sur une si grande période. Il ne s'agirait donc pas vraiment d'une prolifération étonnante, mais plutôt d'un repeuplement inédit.
Mais les humains pourraient être prêts à faire un retour remarqué (et dommageable) dans la zone. En 2016, déjà, Anders Pape Møller témoignait avoir assisté dans les villages de Tchernobyl à la création de mini-zoos peuplés de quelques cerfs et sangliers et ouverts à la visite. Étranges lots de consolation pour des touristes déçus de ne pas pouvoir admirer la luxuriante faune sauvage annoncée.