«Salut les gars, c’est TechRax. Comment ça va? Aujourd’hui, je vais vous montrer quelque chose de complètement dingue.» Le ton est rieur, enjoué, c’est celui du YouTubeur Taras Maksimuk, alias TechRax. Né le 5 août 1993, ukrainien, il s’apprête à réaliser ce qui devient un fantasme immédiat pour toute personne qui tombe sur cette vidéo: il va plonger dans une piscine remplie de Coca-Cola (sans oublier de verser quelques seaux entiers de pastilles Mentos pour faire bonne mesure).
La vidéo n’a aucun contenu informatif particulier, mais elle restera probablement à jamais le magnum opus de sa chaîne, avec 72 millions de vues depuis mi-2016.
Pour les grosses soifs
Pourtant, TechRax n’est pas un YouTubeur spécialisé dans les piscines, le Coca ou même le Mentos. D’aucuns pourraient arguer que TechRax est un YouTubeur high-tech. Et pour cause, la plupart de ses vidéos impliquent des smartphones récents, dans des tests produits déguisés.
TechRax a juste une approche différente, quelque part entre le punk, le sale gosse et le petit malin qui a trouvé un créneau assez facile à exploiter sur le réseau: il est, depuis un petit lustre, devenu le spécialiste de destruction de modèles récents, toujours de manière flamboyante. Et vas-y que je balance mon iPhone 6S dans de la lave en fusion, et vas-y que je lui tire dessus, que je le balance du haut du Burj Khalifa (R.I.P la personne qui était en dessous), que je roule dessus, que je le cuisine ou que je le fasse flamber dans un kilo de poudre, etc.
Tester la résistance d'un iPhone en le laissant tomber de l'espace demande un peu de moyens, et beaucoup d'imagination.
Fantasmes idiots
Pas besoin de production, pas besoin de montage ou même de bien filmer, le concept n’est pas là. TechRax réalise des fantasmes idiots, dans un style «ne le faites pas chez vous» qui rappelle parfois les prouesses absurdes et douloureuses de l'équipe de Jackass. Il est parfois d’humeur coquine: en 2016, alors qu'Apple vient de supprimer le port jack de son iPhone, il se filme en train d'en trouer un à la perceuse, comme si c’était une bonne alternative pour brancher ses écouteurs. D’autres petits malins se sont empressés, en commentaires, de dire que ça marchait pour encourager les plus crédules à faire la même chose –l’histoire ne dit pas si des gens ont réellement trucidé leurs téléphones avec cette idée en tête.
Certaines de ses vidéos ont une plus-value étrange. Lorsqu'on le voit cuire un portable récent à la poêle dans des crayons fondus et que l’ensemble prend subitement feu, on se demande si le zozo va réussir à brûler son appartement pour un peu de gloire sur internet (il s’en est sorti sans dommages). Dans une autre vidéo, on le voit broyer un portable au mixeur et goûter le jus qui en sort.
Ne reproduisez pas ceci chez vous. En même temps, peu de chance que vous disposiez d'un volcan dans votre jardin.
Ses bêtises sont toujours encapsulées d’une certaine créativité. Il a fait rouler une boule de verre remplie de téléphones. Il en a envoyé un autre dans la stratosphère et va chercher ce qu’il en reste. Mais c’est là qu’apparaît le véritable intérêt de ses vidéos: après «expérience», il va tout faire pour voir si le modèle torturé est récupérable et, surtout, encore fonctionnel.
Contenu rigolo ou publicité déguisée, une ligne parfois très fine
«Wow! C’est à ne pas y croire!» «Il y est à peine rayé!» «Il marche encore!» et autres exclamations succèdent toujours à une très grosse iChute (ou «drop test») de plusieurs étages. TechRax allume le modèle, montre qu’il marche encore et insiste bien. Il prend le rôle du démonstrateur produit qui ne dit son nom, et qui montre la durabilité des appareils –quand bien même personne n’aura l’usage d’envoyer son téléphone dans la stratosphère et de le faire retomber.
En regardant plusieurs vidéos, on comprend vite la grammaire et le «cahier des charges». Avant de le malmener, TechRax fait discrètement une petite démonstration du produit. Il l’allume, l’éteint, montre des fonctionnalités basiques, l’expose sous tous les recoins. Il met bien l’emphase sur la marque, le modèle, ce qu’il peut faire, exactement comme le ferait le constructeur.
Et une fois qu’un éléphant l’a piétiné ou qu’il a été jeté dans de l’acide sulfurique, s’il marche encore et qu’il n’est pas trop rayé, c’est bien une preuve qu’il est paré à tous les usages de la vie quotidienne. L’équivalent d’un stress test mené en entreprise, où l’on use mécaniquement des modèles pour éprouver leur durée de vie: bref, de la publicité déguisée, et il n’est pas improbable qu’il soit inondé de produits par les marques pour faire ses vidéos de sale gosse. Nombre de ses exploits sont souvent repris par la presse, surtout s’ils concernent des produits de luxe.
Quand bien même TechRax voudrait acheter lui-même une dizaine d’exemplaires du dernier Samsung Galaxy pour réaliser ses expériences, il en aurait les moyens. Fort de 6,3 millions d’abonnés et d’un milliard et demi de vues au total, il gagnerait entre 6.300 et 101.000 euros par mois. La fourchette est large car cela dépend de nombreux facteurs dans sa manière de monétiser ses vidéos. Mais bien que les heures de gloire de la chaîne soient derrière lui, on ne s'inquiète qu'assez peu pour les finances de TechRax.
Tout casser, mais par procuration
Qu’est-ce qui nous fait cliquer pour regarder ce genre de vidéo? On sait très bien que la chute d’un kilomètre d’un portable le rendra inutilisable, ou fonctionnel cinq secondes avant une explosion prévisible de la batterie.
TechRax, avec son inventivité dans la destruction, nous ramène à ce réflexe reptilien d’enfance, quand tout casser était une passion innocente. Quitte à un peu trop verser dans le sadisme inutile, comme quand il a versé de la lave en fusion sur des cafards qui n’avaient pas demandé grand-chose. L’objectif était de savoir «s’ils allaient survivre».
Mais surtout, TechRax est un fer de lance d’un type de contenu qui pullule sur YouTube et qui ramène des millions de vues sans trop d’efforts: les vidéos «satisfaisantes». Vous aimez fixer un feu de cheminée numérique, une machine à malaxer du chewing-gum et des records de tombés de dominos? Vous aimerez des concepts tels «une boule incandescente traverse des trucs», «tirer sur d’autres trucs» où «lancer des gros trucs sur des trampolines, de préférence depuis un barrage de 300 mètres».
65 mètres, une boule de bowling, un piano: et pourquoi pas?
Un catalogue de vidéos bêtes et innocentes qui engrangent facilement les millions. La chaîne «How Ridiculous» est une version évoluée de celle de TechRax. Les vidéos sont montées, produites, incarnées par des animateurs sympathiques et souriants. Elles marchent sensiblement mieux, mais sont montées avec une meilleure compréhension des enjeux actuels de YouTube: elles font systématiquement plus de dix minutes –une limite pour pouvoir monétiser encore plus la vidéo– et le «moment satisfaisant» qui vous aura fait cliquer est, généralement, tout à la fin de la vidéo.
Cela consiste généralement à lancer quelque chose sur une grande distance, car le gigantisme est un excellent moteur à fantasmes, donc un parfait appeau à clic. Vous vous souvenez peut-être, dans un autre registre, de la chaîne de cuisine «Epic Meal Time» et ses recettes zinzins. Elle existe toujours, et elle est du genre à faire frire 100 fois de suite un cheeseburger.
Mais celles et ceux qui préfèrent les ambiances d’intérieur peuvent aussi se tourner vers les chaînes spécialisées dans les pousse-pièces de fêtes foraines, qui reproduisent l’étrange sensation addictive de l’original, souvent avec des animateurs un peu trop survoltés pour l'exercice. Logique: sur YouTube, le fantasme de gosse est aussi relayé par des gosses.