Vous zizaguez, le nez au vent. Vous évitez un piéton. Vous profitez de cette sensation de plaisir que de parcourir la ville sans effort, agrippé·e à une trottinette électrique. Et d'un coup, elle freine, ralentit, coupe son assistance électrique... Vous venez d'entrer dans une zone non couverte par le service.
En fonction des opérateurs, ces zones sont différentes, mais certains quartiers sont régulièrement évités. À Marseille, les trottinettes sont ainsi autorisées dans le centre et dans le sud de la ville, jusqu'au port de la Madrague de Montredon. En revanche, n'espérez pas trottiner à l'Estaque, à l'extrémité nord de la côte.
Ce sont souvent les opérateurs qui choisissent leur zone d'opération. Les municipalités imposent certaines limites pour la circulation ou le stationnement –notamment les bords de Seine à Paris et le bord de mer à Marseille pour éviter les jets dans l'eau. Les parcs publics et cimetières sont également régulièrement interdits par arrêtés municipaux. Mais le reste est à la seule liberté des opérateurs.
Les quartiers nord de Marseille désertés
Marseille a récemment passé un appel d'offres pour ne sélectionner que trois opérateurs, qui ne peuvent pas mettre en circulation plus de 2.000 trottinettes électriques chacun, avec une redevance pour la ville à la clé.
Bird, Circ et Voi ont été retenus. Selon nos calculs, Bird et Circ n'opèrent que sur environ 20% des 240 kilomètres carrés de la ville. Voi ne semble pas fonctionner actuellement à Marseille. En regardant la population habitant les zones couvertes, Bird –qui ne va pas au-delà du parc Longchamp à l'est– n'est disponible que pour 35% des Marseillais·es. Circ touche quant à lui une personne sur deux.
Capture d'écran / Alexandre Léchenet
Lime, qui n'a pas été retenu par la ville, donnait des gages sur son implantation locale en mettant en avant les emplois créés dans les quartiers nord de la ville. Pourtant, ses trottinettes vert fluo n'étaient pas disponibles dans ces quartiers. L'opérateur, pour le justifier, explique que la ville a souhaité une mise en place progressive, en commençant par le centre-ville.
Jean-Luc Ricca, l'adjoint au maire de Marseille chargé de ces engins, qui n'a pas trouvé le temps de nous répondre, déclarait au Ravi, au sujet des territoires oubliés des trottinettes: «Si demain une société veut déployer des trottinettes sur la totalité du territoire marseillais, je n'y vois pas d'inconvénient.»
Le centre touristique de Paris très fréquenté
À Paris aussi, les zones de couverture sont variées selon les opérateurs. Lime y fait figure d'enfant modèle, puisque l'intégralité de la ville est couverte, ainsi que la Défense. L'opérateur y a obtenu l'exclusivité en décembre 2018. Concernant sa couverture totale de Paris, Lime vante auprès de nous son offre inclusive, ouverte à tou·tes et proposant même des réductions aux personnes dans le besoin avec son programme Lime Access.
Pour les autres, c'est un peu plus compliqué. Tier ne propose ses trottinettes que dans un tiers de la capitale, où ne vit qu'un·e Parisien·ne sur quatre. Tier explique réaliser des tests actuellement sur des zones de parking privilégiées, mais assure que toute la ville sera prochainement couverte.
Voi couvrait auparavant 65% du territoire et évitait les zones proches du périphérique, ainsi qu'une bonne partie des XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements; le 28 octobre, le territoire de Voi a été étendu à quasiment l'ensemble de la capitale.
Bird est disponible dans un peu plus de la moitié de Paris où vivent 60% des Parisien·nes. Interrogé à ce sujet, Driss Ibenmansour, le directeur général de Bird France, nous a répondu: «Cet été, la Ville de Paris a demandé à tous les opérateurs de réduire le nombre de trottinettes qu'ils avaient dans la ville. Par conséquent, Bird a réduit le nombre de ses trottinettes déployées dans Paris. Il est donc nécessaire de les positionner dans les endroits où elles sont les plus demandées et plus utilisées. Nous les disposons donc dans des zones d'exploitation en conséquence.»
Capture d'écran / Alexandre Léchenet
Une étude du cabinet 6T estimait qu'une personne sur deux utilisant des trottinettes à Paris était un·e touriste. Et, selon les calculs d'un autre cabinet spécialisé dans ces nouvelles mobilités, le centre touristique de Paris correspond à la zone la plus parcourue par les utilisateurs de trottinettes. En revanche, l'utilisation est moindre dans les recoins sud du XVIe arrondissement de Paris; les opérateurs y sont pourtant tous présents.
Globalement, les zones les moins souvent couvertes par les opérateurs sont les trois arrondissements du nord-est de Paris, qui sont pourtant parmi les plus peuplés. «Ce sont des opérateurs commerciaux qui veulent avoir une utilisation la plus forte possible, rappelle Antoine Courmont, chercheur à Sciences Po. Et si 45% des utilisateurs sont des touristes, ça peut justifier une disposition dans le centre. Surtout que le coût d'utilisation de ces trottinettes est assez élevé, plus élevé qu'un ticket de métro, donc ça restreint déjà la population qui peut les utiliser.»
Paris prépare également un appel d'offres pour sélectionner des opérateurs et limiter le nombre de trottinettes. Sa mise en œuvre s'accompagnera de la création par la mairie de 2.500 emplacements dédiés sur l'ensemble de la ville.
Le cabinet de Christophe Najdovski, adjoint à la maire chargé des transports, précise à ce sujet: «Les candidats qui y répondront devront s'inscrire dans la perspective d'un déploiement à l'échelle parisienne, à l'exclusion des aires piétonnes et des parcs et jardins dans lesquels les trottinettes n'ont pas leur place.»