Evgueni Prigojine, le dirigeant du Groupe Wagner, a fini par le reconnaître dans une interview donnée à l'agence de presse russe officielle RIA Novosti le 3 janvier: à Bakhmout, ses forces sont enlisées. «Les gars se battent pour chaque maison, parfois pendant plus d'une journée. Parfois, il leur faut des semaines pour en prendre une. Tous les dix mètres, il y a une ligne défensive», a-t-il déploré, se mettant au passage en porte-à-faux avec l'optimisme feint du Kremlin.
Bakhmout, cette ville de plus de 70.000 habitants de l'est de l'Ukraine, dans l'oblast de Donetsk, est devenue le théâtre d'une des principales et plus terribles batailles entre les forces de Kiev et de Moscou. La détermination russe et la résistance ukrainienne ont rapidement forcé l'affrontement à prendre la forme d'une guerre de positions et de tranchées rappelant les pires combats de 1914-1918. Chaque jour, on estime que chaque camp verrait mourir jusqu'à plusieurs centaines d'hommes.
Les forces du groupe paramilitaire Wagner sont principalement constituées de prisonniers inexpérimentés, recrutés directement dans les pénitenciers russes en échange d'une hypothétique libération en cas de survie –encore plus hypothétique. Elles sont appuyées par l'armée régulière et par des séparatistes ukrainiens prorusses.
Sacrifice humain
Dans un long article, résumé en anglais par le blog britannique dédié aux questions de défense Wavell Room, le journaliste ukrainien Yuri Butusov a analysé les tactiques de l'organisation d'Evgueni Prigojine à Bakhmout.
«Plusieurs groupes d'assaut se dirigent vers l'objectif, en plein jour. La mission principale consiste à s'approcher secrètement de la ligne d'attaque, puis de courir vers les tranchées ukrainiennes et d'y sécuriser une position. Dans de nombreux cas, la retraite n'est pas planifiée. Le plus souvent, le Groupe Wagner tente d'infliger des dégâts et d'appuyer l'attaque à distance à l'aide de drones, de frappes de mortiers et de lance-grenades», explique-t-il.
Toutefois, si le terrain ou les conditions météo (la présence de brouillard aidant) apparaissent favorables, les hommes sont envoyés à l'assaut sans appui de l'artillerie, en misant sur la vitesse. Si un tel ordre a été donné, les soldats se jettent même tout droit sur le feu ukrainien. Et si l'assaut échoue, il est recommencé sur la même position jusqu'à obtenir un résultat. Les réfractaires, eux, sont abattus.
«Ce sont des attaques d'infanterie coûteuses, dans le style de la Première Guerre mondiale. Les attaques interarmées que connaissent bien les soldats britanniques sont rarement observées. La raison pour laquelle le char a été inventé est oubliée», écrit Wavell Room.
La méthode est aussi comparable à celle du «zerg rush» dans le jeu vidéo Starcraft: tenter de submerger l'adversaire avec des unités de faible puissance en misant sur le nombre et sans se soucier des pertes.
Gare à l'optimisme
Toutefois, on aurait tort de penser que ce comportement traduit une faiblesse de l'organisation paramilitaire. Certes, ces tactiques peuvent produire des résultats, mais à un coût humain très élevé. Ces morts étant principalement des prisonniers, leur décès engendre toutefois un coût politique bien plus faible que celui de soldats russes.
Par ailleurs, les commandants et l'artillerie de Wagner restant à l'abri à l'arrière, ces capacités sont préservées. Et comme le montre un récent reportage vidéo de Vice, si l'armée ukrainienne parvient le plus souvent à contrer ces assauts terrestres, les bombardements russes lui infligent de lourdes pertes, et ses soldats manquent de matériel moderne et de munitions.