C'est un rare regard qu'a pu poser le journaliste Neil Hauer sur la guerre en Ukraine. En dehors des sentiers battus et des autorisations habituellement impératives de la hiérarchie militaire, le journaliste a pu discuter avec deux snipers ukrainiens, ces tireurs d'élite qui tuent à distance et œuvrent dans l'ombre, mais ont été et sont encore de cruciaux éléments dans la survie contre l'envahisseur russe. Il raconte cette rencontre avec les soldats à lunette dans Military Times.
L'interview des deux hommes, qu'il appelle Artyom et Yevhen, s'est déroulée début mars, à quelques dizaines de kilomètres de Bakhmout. Ils expliquent que la récente –et très relative– stabilisation du front autour de points très chauds, comme l'enfer de Bakhmout ou la débâcle russe et motorisée de Vouhledar, a mis leur savoir-faire de tireur d'élite entre parenthèses.
«Ces six derniers mois, les snipers n'ont pas été très utilisés en tant que tels, déroule Artyom. Le front a beaucoup changé. À la place, nous avons beaucoup travaillé en tant que saboteurs, en plantant des mines ou détruisant des voies ferrées.»
L'ombre, ici l'ombre
Mais ainsi que le rapporte Neil Hauer, ces soldats très spécialisés et surentraînés ressortent parfois leurs coûteux fusils de haute précision –le Scorpio V de Victrix ou l'AT308 d'Accuracy sont cités en exemple–, afin de replacer la peur au sein des rangs russes en abattant tout soldat mal protégé, alors qu'il pense pouvoir se reposer après une charge de chars et d'infanterie.
Surtout, ils ont été cruciaux dans les premières semaines de la guerre d'invasion à grande échelle, alors que la Russie et ses colonnes sans fin s'approchaient dangereusement de Kiev depuis le nord.
En abattant nombre de hauts gradés de ces troupes mal préparées, les snipers ukrainiens ont ainsi contribué à amplifier la désorganisation générale côté russe. Une tactique de la mobilité et de l'ombre qui semble intéresser au plus haut point les pays de l'OTAN, qui trouvent dans les exploits ukrainiens de nombreux enseignements, particulièrement utiles en cas de conflit avec le pays de Vladimir Poutine.
C'est lorsque le front s'est déplacé dans l'est et le sud du pays que l'utilisation de ses snipers par les forces armées ukrainiennes a quelque peu changé. Selon Neil Hauer, de petites unités très mobiles ont été formées pour aller frapper, toujours depuis l'ombre, toujours à distance, des formations russes isolées lors des manœuvres et combats.
Être discret et tapis dans l'obscurité n'empêche toutefois pas l'ennemi de chercher à vous tuer avec ses propres méthodes, souvent moins discrètes. «Les duels de snipers sont juste un truc stupide que l'on voit dans les films, affirme Artyom, faisant peut-être référence au Stalingrad de Jean-Jacques Annaud. Quand les Russes veulent vraiment nous avoir, ils utilisent des mortiers ou, si on n'a vraiment pas de chance, du phosphore blanc.»
Lorsqu'il n'a pas recours à l'un de ses fusils ultra-spécialisés, comme lors de combats auxquels il a participé dans les environs de Bakhmout, la préférence d'Artyom se tourne quant à elle vers une plus simple Kalachnikov, équipée d'une lunette thermique. «Un fusil de sniper coûte 20.000 à 30.000 dollars [entre 18.000 et 27.000 euros, ndlr] et ne peut tuer qu'un seul Russe à la fois. Une Kalachnikov peut te permettre de te défendre contre tout un régiment», justifie-t-il.
L'homme, dans les conditions si différentes du combat à proximité, ne perd rien de son sang froid et de ses qualités de tireur. Son record, se vante-t-il auprès de Neil Hauer, est de quinze soldats russes touchés ou tués lors d'un seul assaut.