Dès les premiers jours de l'«opération spéciale» lancée en février 2022 par Vladimir Poutine en Ukraine, l'évidence s'imposait: celle-ci ne pourrait s'en sortir seule. Alors, le président Volodymyr Zelensky a fait appel à la bonne volonté des combattants de la liberté du monde entier pour venir s'engager sous le drapeau jaune et bleu.
Le message a été entendu. Dans le soutien aux armées, l'aide aux populations ou plus directement les armes à la main face aux Russes, des milliers d'âmes ont déboulé des quatre coins du monde pour s'engager aux côtés de l'Ukraine. Si beaucoup ont déchanté et si le chiffre de 1.500 combattants est désormais chuchoté, ils ont été jusqu'à 20.000 à trouver un chemin jusqu'à Kiev.
Les véritables héros ont été nombreux à rejoindre les rangs de la Légion étrangère officielle mise en place par l'armée ukrainienne, ou ceux de l'une des dizaines de structures moins formelles venues en découdre avec la Russie de Vladimir Poutine. Beaucoup ont payé cet engagement de leur vie.
C'est avec le cœur lourd et une immense tristesse que nous partageons avec vous le décès de notre frère d'arme Kévin David, près de Bakhmut. Il laisse derrière lui, sa compagne et ses 2 enfants.
— Task Force Baguette (@TFBaguette) March 23, 2023
Merci pour ton sacrifice. Repose en paix 🇺🇦 pic.twitter.com/fFyNR284yO
Mais dans l'urgence absolue, à cheval donné on ne regarde pas les dents, comme dit le dicton. C'est ce que révèle un article fouillé et proprement ahurissant du New York Times (NYT), centré sur le cas américain (mais des histoires similaires concernent d'autres nations). L'absence de filtrage du côté ukrainien –une dizaine de minutes par volontaire tout au plus– a permis à de sacrés margoulins de se glisser dans l'afflux de combattants.
«Les volontaires américains en Ukraine qui mentent, gâchent et se déchirent», est titrée cette enquête, écrite par Justin Scheck et Thomas Gibbons-Neff et pour laquelle trois dizaines de personnes ont été interrogées. Ce que l'on découvre sur ce revers de la médaille n'est franchement pas glorieux.
Parmi eux, des «salopards» –pour reprendre le fameux sobriquet cinématographique– ont menti sur leur passé militaire aux sein des forces états-uniennes. Mais ils se retrouvent au front, les armes dans une main et les fanfaronnades sur Twitter dans l'autre. D'autres ont levé des sommes folles, mais en ont gâché une partie en dépenses inutiles, matériels de basse qualité ou véhicules qui ne sont jamais arrivés à destination.
Un type à moitié dérangé, John McIntyre, a fini par se faire virer de la Légion étrangère ukrainienne pour mauvais comportement et par passer à l'ennemi, paradant désormais sur les chaînes de télévision russe, affirmant avoir offert des secrets technologiques à Moscou.
D'autres encore cherchent assez clairement à profiter personnellement, et de manière sonnante et trébuchante, de l'élan de générosité mondial pour l'Ukraine. Et, surtout, une poignée de soldats absolument nuls, sans entraînement ni talent autre que la gaffe, que l'armée de leur pays n'aurait jamais recrutés.
Le bon, la brute et le truand
(mais surtout le truand)
Le NYT se penche sur quelques-uns de ces étranges personnages en particulier. L'un des plus fameux est James Vasquez. L'homme était, jusqu'à récemment, très présent sur Twitter et les réseaux sociaux. Jusqu'à ce que le quotidien new-yorkais se mette à enquêter sur son passé et ses activités. Il s'est alors évanoui dans la nature.
Dans une longue vidéo destinée à lever des fonds, James Vasquez jurait être un ancien sergent de l'armée américaine, un solide vétéran déployé en Irak pour l'opération «Tempête du désert» de la première guerre du Golfe en 1991, puis une seconde fois après le 11-Septembre. Devenu une légende dans sa bourgade du Connecticut, il n'a pourtant rien fait de tout ça, jure le Pentagone. À peine avait-il été vaguement réserviste et à un rang des plus mineurs.
Cela ne l'a pas empêché de se retrouver en Ukraine, les armes à la main. Des armes américaines, bien sûr. Flambant neuves: «Elles sortent à peine de la boîte et on en a plein», expliquait-il au New York Times. D'où provenaient-elles? Il dit n'en avoir aucune idée et n'en avoir cure.
Quant à ses exploits militaires, relatés dans des vidéos très regardées, ils sont pour ainsi dire nuls, voire négatifs. James Vasquez est ainsi surtout célèbre pour avoir posté en ligne la position très exacte de l'ensemble de son unité lors de l'une de ses rodomontades filmées. Ce qui, demandez aux Russes de la base de Makiïvka (près de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine), peut mener à de fameux désastres.
Il y a aussi Malcolm Nance, ancien spécialiste en chiffrage dans l'armée des États-Unis, collaborateur régulier de la chaîne MSNBC et devenu l'une des figures les plus visibles du soutien à l'Ukraine sur les plateaux de télé américains. Il est parti en Ukraine pour apporter un peu de sa rigueur à la Légion, pour essayer de la structurer quelque peu.
Il en est revenu. Mais pas avant de s'être retrouvé salement englué dans des luttes intestines, et non sans avoir accusé certaines des personnes ou groupes de soutien financier rencontrés de fraude pure et simple, voire d'espionnage pour le compte de la Russie.
Une partie de ces volontaires dépendent des donations pour leurs propres aventures. Ou bien ils se sont lancés dans le financement participatif pour aider les troupes ukrainiennes à ne pas céder face à l'ennemi. Les sommes levées sont souvent assez folles –et leur utilisation plutôt cryptique.
Pertes et profits
Le New York Times a ainsi interrogé Grady Williams, un homme de 65 ans qui était guide du ranch des Reagan à Santa Barbara (Californie), lorsqu'il a entendu l'appel de Volodymyr Zelensky, auquel il n'a pas pu résister. Un avion, un train et de l'autostop plus tard, il se retrouvait au front, les armes à la main. Pendant une dizaine de jours. L'armée ukrainienne s'est ensuite rendue compte que Grady Williams n'était même pas passé par son filtre avant de commencer à se battre.
En retrait des combats, il s'est mis à lever des fonds pour les volontaires de la Légion géorgienne: 16.000 dollars (environ 14.900 euros), destinés à leur fournir des motos. Environ la moitié de cette somme a été dépensée pour ses propres besoins et il a fini par se faire jeter par lesdits Géorgiens, après de sérieuses bisbilles avec un autre volontaire.
Dans cet embrouillamini de groupes, sous-groupes, légions, volontaires au front, leveurs de fonds sur les réseaux sociaux, le NYT rapporte plusieurs cas d'utilisation pour le moins maladroite des sommes, souvent importantes, dont se sont délestés les généreux donateurs.
Dans le domaine des équipements de vision nocturne, cela donne du matériel chinois beaucoup moins efficace que celui initialement promis. Ou à l'inverse, des fournitures de pointe, dont le transfert vers l'Ukraine pose de sérieuses questions par rapport aux limitations à l'exportation des technologies américaines.
Dans ce dernier cas, c'est Hunter Ripley Rawlings IV qui est à la manœuvre –notamment grâce à l'importante publicité que lui a offert James Vasquez, avant qu'il ne disparaisse des écrans radars, pris sur le fait. Le lieutenant-colonel Rawlings a, dit-il, levé plus d'un million de dollars pour équiper les soldats ukrainiens envoyés au front.
En sus de ces matériels de vision nocturne à l'origine problématique, il a notamment dépensé 25.000 dollars pour des véhicules contrôlables à distance, mais qui ne sont jamais arrivés à destination. Il a provoqué l'ire de certains donateurs, qui se demandent où sont passées réellement ces fortunes.
Peut-être dans les comptes bancaires d'Iron Forge, l'entreprise que le lieutenant-colonel Rawlings a créée en parallèle de ces donations de matériels au front ukrainien. C'est celle-ci qui est supposée recevoir des fonds destinés au transport des dispendieux trucs et bidules envoyés vers Kiev et le Donbass. Mais il ne s'agit pas d'une ONG: c'est bien pour son profit, et donc celui de Hunter Rawlings IV, qu'Iron Forge a été fondée.