Michael Schwirtz, correspondant du New York Times en Ukraine, décrit dans son article la scène suivante: dans la neige du Donbass, un homme s'agenouille, met en joue des troupes russes situées à plus d'un kilomètre de sa position, et tire une roquette avec un lanceur ad hoc.
Cela semble classique mais ça ne l'est nullement. Le soldat en question n'est pas ukrainien, et il ne fait pas non plus partie des contingents de volontaires géorgiens, européens, américains voire tchétchènes venus se battre sous la bannière jaune et bleue. Il est russe, et c'est contre ses compatriotes qu'il se bat; ce sont eux qu'il cherche à tuer, à chasser du pays.
Il fait partie de la Free Russia Legion, un groupe d'hommes ayant décidé de quitter leur mère patrie et de rejoindre le voisin qu'elle cherche à mettre à genoux depuis 2014, et plus brutalement encore depuis le début de l'«opération spéciale» lancée par Vladimir Poutine le 24 février 2022.
«Un vrai Russe ne s'engage pas dans une telle guerre agressive, ne viole pas des enfants, ne tue pas des femmes et des personnes âgées», explique à Michael Schwirtz l'un d'eux, originaire de Saint-Pétersbourg et qui se fait appeler Caesar. «C'est la raison pour laquelle je n'ai aucun remords. Je fais mon job, et j'ai tué pas mal de monde.»
Belle-mère Patrie
Comme l'explique le New York Times, cette légion russe n'est pas la plus notoire au sein d'un combat qui, pourtant, a fait de la propagande l'un de ses carburants les plus puissants.
L'une des raisons principales de cette relative discrétion, malgré quelques hauts faits de guerre comme à Bakhmout par exemple, est évidente: au pays, les familles de ces jeunes hommes pourraient être malmenées si leur «trahison» venait à se savoir –la Free Russia Legion a d'ailleurs été désignée organisation terroriste par Moscou.
Les raisons de ce passage à l'Ouest, du moins à l'Ukraine, sont diverses. Un point cependant unit tous ces Russes luttant contre leur propre patrie: ils sont farouchement opposés au régime de Vladimir Poutine, qu'ils espèrent faire tomber en se rendant utiles à Kiev, ou en poursuivant ensuite leur bataille à la maison.
«Nous ne sommes pas venus pour prouver quoi que ce soit. Nous sommes venus pour aider l'Ukraine à repousser intégralement les forces russes hors de son territoire, et pour la future dé-poutinisation de la Russie», explique au NYT un très jeune homme se faisant appeler Zaza. Il a quitté le pays après avoir été inquiété par sa fac puis par les forces de sécurité suite à quelques protestations et provocations contre la guerre.
Tolstoï, Dostoïevski et Caesar
Zaza et les autres ne sont pas arrivés en odeur de sainteté dans les rangs des forces ukrainiennes, et de la Légion internationale ukrainienne, sous l'autorité et la tutelle de laquelle ils ont été placés.
C'est à la dure et petit à petit qu'il a fallu gagner la confiance de leurs nouveaux chefs, et dépasser les craintes légitimes d'espionnage que ceux-ci pouvaient avoir. Il leur a même fallu passer des tests psychologiques complets et se soumettre au polygraphe, un détecteur de mensonges –on ne sait jamais, des tentatives d'infiltration ayant déjà eu lieu.
Certains pensent déjà très concrètement à la suite. C'est le cas du Caesar déjà cité, un homme qui idéologiquement revient de loin, puisqu'il a un temps fait partie du terrible Mouvement impérial russe (RIM), un groupuscule paramilitaire suprémaciste et ultranationaliste.
L'ancien néonazi est devenu un partisan: il «a passé beaucoup de temps à chercher une voie qui lui semblait idéologiquement correcte», explique l'un des officiers chargés de superviser ces hommes. À 50 ans environ, il rêve d'un changement de régime à Moscou, et est prêt à le provoquer les armes (souvent occidentales) à la main.
«Ma tâche n'est pas seulement de protéger le peuple ukrainien», explique-t-il à Michael Schwirtz. «Si je suis encore en vie après cette phase et que le territoire est intégralement libéré, je veux absolument continuer à me battre, une arme à la main, pour renverser le régime du Kremlin.»
À propos des compatriotes qu'il tue ou qui cherchent à le tuer, il parle de «scélérats» et d'«assassins». «Je suis assis devant toi, un exemple d'homme russe, et un exemple d'homme sur lequel écrivaient Tolstoï et Dostoïevski», dit Caesar au journaliste du New York Times. «Voilà le genre d'homme que je suis. Pas eux. Eux ne sont pas des Russes.»